CHAPITRE VII.
EXPLICATION DE CETTE DOCTRINE.
- Je m’explique par quelques exemples. Et d’abord j’affirme que les mots, fils et engendré, n’ont qu’une seule et même signification. Car en Dieu, le Verbe est Fils parce qu’il est engendré, et il est engendré parce qu’il est Fils. Lors donc que nous affirmons du Père qu’il n’est pas engendré, nous disons simplement qu’il n’est pas fils. Mais les mots engendré et non-engendré sont d’un usage plus facile, parce que la langue latine, qui admet le mot fils, rejette celui de non-fils. Cependant la pensée est indépendante de cet usage, et elle comprend le mot non-fils de même qu’elle entend celui de non-engendré qu’on emploie quelquefois pour inengendré. Ainsi encore les mots, voisin et ami, ont leurs corrélatifs dans notre esprit, quoique la langue qui dit ennemi, ne dise point invoisin. Il est donc bien utile dans toute discussion dogmatique de considérer moins ce que nous permet, ou nous refuse le sens habituel des mots, que les idées mêmes qu’ils renferment.
Ainsi nous ne dirons pas que le Père est inengendré, quoiqu’à la rigueur Je génie de notre langue nous le permette, mais nous dirons dans le même sens qu’il n’est pas engendré, c’est-à-dire qu’il n’est pas le Fils; car l’effet de toute particule négative n’est point de faire retomber sur la substance même de l’être ce qu’elle ne nie en lui que relativement. Ici donc, comme dans tous les autres (427) attributs, nous nions seulement ce qui sans la négation serait vrai. Prenons pour exemple cette proposition : voilà un homme; en l’énonçant je marque la substance de l’être auquel je la rapporte ; et quand je dis: ce n’est pas un homme, je me borne à nier dans le sujet la qualité d’homme, mais je ne lui applique aucun autre attribut. Lors donc que je dis : voilà un homme, l’affirmation tombe sur la substance; et pareillement, lorsque je dis ce n’est pas un homme, la négation tombe sur la substance. Si vous me demandez ensuite combien un être a de pieds, et si je vous réponds : quatre, j’énonce seulement le nombre de ses pieds, de même qu’en disant qu’il n’est point quadrupède, je ne prétends nier en lui qu’une seule chose, à savoir qu’il n’a pas quatre pieds.
C’est encore dans le même sens tour à tour affirmatif et négatif que selon la couleur je dis : il est blanc, et il n’est pas blanc; que selon la relation, je dis : il est proche, et il est éloigné; que selon la position, je dis : il est couché, et il est levé; et qu’enfin selon l’extérieur et les dehors je dis : il est armé, et il est désarmé, c’est-à-dire qu’il n’a point d’armes. Pareillement par rapport au calcul du temps, je dis : aujourd’hui et hier; par rapport à la distance des lieux, je dis : il est à Rome, et il n’est pas à Rome; et par rapport à l’action, je dis: il frappe, ou bien, il ne frappe pas, énonçant seulement par là qu’il ne fait pas l’action de frapper. Et de même, quand je dis : il est frappé, j’affirme, que le sujet souffre l’action marquée par le verbe frapper, ce qui est le contraire, quand je dis: il n’est point frappé. C’est qu’en effet il n’est point d’attribut ou de qualificatif que nous ne puissions détruire soudain en le faisant précéder d’une particule négative.
D’après ces principes, si j’appliquais le mot Fils à la substance divine, je nierais cette substance en disant: Non-Fils. Mais comme je n’affirme dans le Verbe la filiation que relativement au Père; de même je ne nie dans le Père cette même filiation que par relation au Fils, en sorte que je veux seulement prouver qu’il est à lui-même son propre principe. Concluons donc que puisque le mot Fils, ainsi que je l’ai dit ci-dessus, a le même sens que le mot engendré, l’expression non-engendré, équivaut à celle-ci : il n’est pas Fils. Ainsi, soit que nous disions : Non-Fils, ou non-engendré, la négation ne tombe, dans notre pensée, que sur les relations de personne à personne. Car le qualificatif inengendré est absolument synonyme de non-engendré. Concluons donc encore qu’en disant qu’il est inengendré, nous ne lui appliquons que par relation cet attribut négatif. Et en effet, en disant du Fils qu’il est engendré, nous faisons abstraction de la substance ou nature divine, et nous affirmons seulement qu’il procède du Père: et de même, quand nous disons du Père qu’il est non-engendré, nous ne prétendons prouver qu’une seule chose, à savoir qu’il n’a point de père. Il est vrai qu’ici l’attribut relatif offre une double signification, mais parce qu’il est toujours pris dans un sens relatif, il ne tombe jamais sur la substance. Ainsi, quoique ce soit deux choses bien différentes que d’être engendré, et de n’être pas engendré, ces deux qualificatifs n’indiquent point diversité de substance. Car comme le mot Fils se réfère au mot Père, et le mot non-Fils au mot non-Père, ainsi devons-nous rapporter le terme engendré au terme générateur, et le terme non-engendré au terme non-générateur.