4.
Aussi bien, la concupiscence est-elle comme une loi de péché qui persévère dans notre corps de mort. Elle naît avec les petits enfants. Sont-ils baptisés? Elle disparaît comme tache et reste pour le combat, sans poursuivre, comme un titre de condamnation, celui qui meurt avant la lutte. Ne sont-ils pas baptisés? Elle les enchaîne comme des coupables, et les traîne à la damnation en qualité d'enfants de colère, quand bien même ils mourraient en bas âge. — Quant aux adultes, comme ils ont l'usage de leur raison, toutes les fois que chez eux l'âme se rend par le péché complice de la concupiscence, il y a là un acte de volonté personnelle ; aussi, après que tous leurs péchés sont effacés, lorsqu'a été détruit le lien honteux qui les tenait enchaînés dès leur origine, la concupiscence toutefois demeure encore chez eux pour le combat, sans qu'elle puisse absolument leur nuire en rien, tant qu'ils n'y consentiront point en choses défendues; mais elle persévère ainsi jusqu'à ce que la mort soit absorbée dans sa victoire1, et qu'après la réalisation parfaite de la paix, il ne reste plus rien à vaincre. Quant à ceux qui lui donnent consentement pour les choses défendues, elle les enchaîne comme coupables dès lors; et, si le Prêtre céleste qui intercède pour nous ne, daigne les guérir par le remède de là pénitence et par les oeuvres de miséricorde, elle les conduira jusque dans la seconde mort et à la damnation. C'est pour cette raison que le Seigneur, nous enseignant à prier, nous avertit de dire entre autres choses: « Pardonnez-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés; et ne nous laissez pas entrer dans la tentation; mais délivrez-nous du mal2 ». Car le mal habite notre chair, non d'après une nécessité de cette nature dans laquelle l'homme avait été créé de Dieu, mais par le vice où lui-même s'est précipité volontairement; et comme il a perdu ses forces dans cet abîme, il n'est point guéri avec cette même facilité qui lui valut sa blessure.
Tel est, au reste, le mal dont l'Apôtre nous dit : « Je sais que le bien n'habite point dans ma chair3 ». Tel est le mal auquel il nous recommande de ne point obéir, quand il ajoute : « Que le péché ne règne donc pas dans votre corps mortel, de façon à ce que vous obéissiez à ses convoitises4 ». Supposé donc que, cédant au penchant corrompu de notre volonté, nous ayons consenti à ces convoitises de la concupiscence charnelle, pour guérir le mal, nous disons : « Pardonnez-nous « nos offenses », et nous appliquons le remède par une oeuvre de miséricorde, puisque nous ajoutons aussitôt : « Comme nous pardonnons a à ceux qui nous ont offensés ». Et pour éviter même de consentir à ce mal, nous implorons le divin secours en ces termes : « Ne nous laissez pas entrer dans la tentation », (ou, comme le portent quelques exemplaires: « Ne nous induisez point en tentation »). Ce n'est pas que jamais tentation de ce genre vienne de Dieu; « car Dieu n'est point capable de nous tenter pour aucun mal ; Dieu ne tente personne5 ». Non ; mais nous demandons que, si déjà commence contre nous la tentation par l'oeuvre de la concupiscence, Dieu veuille bien ne pas nous priver de son secours, qui nous donnera la possibilité de vaincre et nous arrachera à ses attraits malheureux. Nous terminons par demander ce qui n'aura son accomplissement parfait qu'à la fin des temps, qu'au jour où l'élément mortel sera absorbé par la vie6 : « Mais délivrez-nous du mal ». Alors, en effet, alors n'existera plus aucune concupiscence contre laquelle il nous faille combattre et à laquelle nous devions refuser tout consentement. On peut donc rapporter brièvement à trois grâces ce que nous demandons ici dans l'oraison dominicale : Pardonnez-nous en tous les cas où la concupiscence nous a entraînés ; secourez-nous de peur que la concupiscence ne nous entraîne ; délivrez-nous de la concupiscence.