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Que les Pélagiens nous montrent donc, s'ils le peuvent, un seul homme encore retenu sous le poids de la corruption de cette vie et qui n'ait pas besoin que Dieu use envers lui de clémence et de pardon. Un tel homme ne saurait se trouver, à moins qu'ils ne le supposent, je ne dis pas éclairé par la science de la loi, mais aidé par une véritable infusion de l'esprit de grâce; une telle prétention de leur part ne serait pas seulement un crime, mais une impiété sacrilège. Qu'ils étudient les passages de l'Ecriture sainte dans leur sens naturel et nécessaire, et ils resteront convaincus que la perfection de la justice ne saurait se trouver dans aucun homme sur la terre. Et cependant, on ne peut soutenir que Dieu n'ait pas le pouvoir de prêter à la volonté humaine un secours tel que se réalise pour tel homme en particulier et dans toute sa perfection, non-seulement cette justice qui vient de la foi1, mais encore celle qui nous est réservée dans le ciel, quand nous verrons Dieu face à face.
S'il plaisait à Dieu de revêtir tel homme terrestre de l'incorruptibilité céleste2 ; de l'exempter de la mort au milieu de ses frères condamnés à mourir ; de détruire entièrement l'antique nature mauvaise, de manière à ce qu'aucune loi des membres ne répugnât à la loi de l'esprit3 ; de lui donner de Dieu une connaissance de tous points semblable à celle que les saints posséderont dans le séjour de la gloire; quel insensé oserait affirmer que ces oeuvres, toutes prodigieuses qu'elles soient, ne seraient point possibles à la puissance divine? Mais voici. que les hommes demandent pourquoi Dieu ne réalise pour personne cet heureux état; que ceux qui posent cette question veuillent donc se souvenir qu'ils sont hommes.
Je sais qu'il ne saurait y. avoir en Dieu ni impossibilité ni iniquité4. Je sais aussi qu'il résiste aux superbes et qu'il donne sa grâce aux humbles5. Je sais que l'Apôtre, à qui fut donné l'aiguillon de la chair, l'ange de Satan pour le souffleter et étouffer en lui tout sentiment d'orgueil, entendit jusqu'à trois fois ces paroles en réponse à son ardente prière: « Ma grâce te suffit, car la vertu se perfectionne dans la faiblesse6 ». Reconnaissons ici la sagesse et la profondeur des décrets de Dieu, qui veut ôter aux justes la pensée même de célébrer leurs propres louanges et ne laisser à leurs lèvres le pouvoir de s'ouvrir que pour chanter la gloire de Dieu. Comment scruter, approfondir et connaître ces mystères, a tant « les jugements de Dieu sont incompréhensibles et ses voies impénétrables? Car qui a connu les desseins de Dieu ? ou qui est entré dans le secret de ses conseils ? ou qui lui a donné quelque chose le premier, pour en prétendre récompense ? Tout est de lui, tout est par lui et tout est en lui ; à lui seul gloire dans tous les siècles. Amen7 ».
Traduction de M. l'abbé BURLERAUX.