11.
Cette sainte pensée conserve ceux des enfants des hommes qui mettent leur espérance dans sa protection et attendent de lui seul la joie d'être enivrés de l'abondance de sa maison, et de s'abreuver au torrent de sa volupté. Car ils savent qu'il est la source de la vie et que c'est dans sa splendeur que nous verrons la lumière. Ils savent qu'il verse sa miséricorde sur ceux qui le connaissent, et sa justice dans l'âme de ceux qui ont le coeur droit. Ils savent enfin que ce n'est point parce qu'ils ont le coeur droit , mais pour qu'ils aient le coeur droit, que Dieu leur accorde sa justice par laquelle il justifie le pécheur1. Cette pensée, d'ailleurs, est loin d'engendrer l'orgueil : car ce vice a pour principe la confiance illimitée que l'homme place en sa propre personne, se regardant comme le maître absolu d'imprimer à sa vie la direction qu'il juge convenable.
Par le fait même d'une telle présomption, il s'éloigne de cette source de vie, dans laquelle seule nous puisons la justice, c'est-à-dire une vie sainte; il s'éloigne de cette lumière immuable à laquelle l'âme raisonnable ne saurait participer sans se sentir embrasée d'un feu qui la change à son tour en une sorte de lumière créée. C'est en ce sens que l'on dit de saint Jean : « Il était une lumière ardente et luisante2 » ; de son côté, n'ignorant pas de quelle source découlait sa lumière, il s'écriait : « Nous avons reçu de sa plénitude ». De qui donc cette plénitude, si ce n'est de Celui devant lequel il n'était plus la lumière ? En effet, c'est ce Verbe incarné qui « était la lumière qui éclaire tout homme venant en ce monde3 ». David, dans l'un de ses psaumes, venait de dire: « Déployez votre miséricorde sur ceux qui vous connaissent, et votre justice sur ceux qui ont le coeur droit ». Il ajoute aussitôt : « Que le pied de l'orgueil ne vienne pas jusqu'à moi, que la main des pécheurs ne me touche point ; là sont tombés tous ceux qui commettent l'iniquité : ils ont été repoussés et n'ont pu se tenir debout4 ». Cette iniquité qui porte l'homme à s'attribuer à lui-même ce qui n'appartient qu'à Dieu, refoule le pécheur dans ses propres ténèbres qui sont les oeuvres d'iniquité. Telle est son oeuvre propre, voilà de quoi il est capable par lui-même. Quant aux oeuvres de la justice, il ne les accomplit que dans la mesure où il puise à cette source et à cette lumière divine, où se trouve l'abondance de la vie pour tous, où il n'y a ni changement ni vicissitude5.