56.
Nous devons faire encore une autre distinction. Ceux qui sont sous la loi et qui s'efforcent de pratiquer la justice par crainte du châtiment, s'ils n'agissent que sous le coup de cette crainte, ils ne pratiquent pas la justice de Dieu; car cette justice n'est produite que par la charité à laquelle ne saurait plaire que ce qui est permis. Agir par crainte, c'est être forcé de rendre ses actions conformes à la loi, quoique la volonté désire réellement, si cela pouvait se faire, que ce qui lui est défendu lui devienne permis. Quoi qu'il en soit, je dis encore que ceux qui en sont là croient en Dieu ; car s'ils n'avaient absolu. ment aucune foi, ils ne craindraient même pas le châtiment de la loi. Toutefois, ce n'est point cette foi que l'Apôtre nous recommande quand il nous dit : « Vous n'avez point reçu l'esprit de servitude qui vous retienne encore dans la crainte; mais l'esprit d'adoption des enfants, par lequel nous crions Abba, Père1 ». La crainte dont nous parlons, c'est la crainte servile; elle croit au Seigneur, mais elle n'aime pas la justice, et elle craint la damnation.
Quant aux enfants, ils crient : Abba, Père Abba, parole hébraïque, relative à la circoncision, c’est-à-dire aux Juifs; Père, parole, qui rappelle le prépuce, c'est-à-dire les Grecs, « car il n'y a qu'un seul Dieu qui justifie les circoncis par la foi, et qui par la même foi justifie également les incirconcis2 ». Or, sur les lèvre des uns et des autres, ce cri est une prière, et que demandent-ils si ce n'est ce dont ils ont faim et soif? De quoi enfin ont-ils faim et soif, si ce n'est de ce que le Sauveur nous désigné par eus paroles : « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu'ils seront rassasiés3? » Que ceux donc qui sont sous là loi se soumettent à cette transformation,afin que d'esclaves ils deviennent des enfants ; non pas en ce sens qu'ils cessent d'être des serviteurs, car ce qu'on leur demande c'est de servir libéralement le Seigneur comme des enfants servent leur père: Ils le peuvent d'ailleurs, car le Fils unique « a donné à ceux qui croient en son nom, le pouvoir de devenir les enfants de Dieu4 », et il les avertit de demande, de chercher, de frapper, afin qu'ils reçoivent, qu'ils trouvent, et qu'il leur soit ouvert. Vient ensuite le reproche: « Si vous, qui êtes mauvais, vous savez faire du bien à vos enfants, combien plus votre Père qui est au ciel accordera-t-il ses biens à ceux qui sauront les lui demander5 ».
D'un autre côté, si le péché est l'aiguillon de la mort et si là loi est la force du péché6, en ce sens que dans l'occasion le péché se serve du précepte pour enflammer la concupiscence7, à qui donc devons-nous demander la continence, si ce n'est à celui qui sait donner ses biens à ses enfants ? Est-il un seul homme assez insensé pour ne pas savoir que personne ne peut être continent si Dieu ne lui en fait grâce8 ? Pour le savoir; il a besoin de cette même sagesse. Pourquoi donc n'entend-il pas l'Esprit de son Père nous disant soit par Jésus-Christ lui-même : « Demandez et vous recevrez9 » ; soit par son Apôtre: « Si l’un de vous a besoin de la sagesse, qu'il la demande à Dieu qui donne à tous abondamment, sans murmure et sans espérance de retour; qu'il demande donc dans la foi et sans hésiter10 ? » Telle est la foi dont vit le juste11 ; telle est la foi par laquelle nous croyons en Celui qui justifie le pécheur12 ; telle est la foi par, laquelle tout sujet d'orgueil disparaît13, soit que nous cessions de nous glorifier en.nous-mêmes; soit que nous sentions briller avec plus d'éclat la gloire qui revient au Seigneur de tous les bienfaits dont il nous comble ; enfin telle est la foi par laquelle nous obtenons .la diffusion de l'esprit dont il est dit: « C'est par l'esprit et en vertu de la foi que nous attendons l'espérance de la justice14 ».
On pourrait demander ici quelle est cette espérance de la justice; est-ce celle par laquelle la justice espère, ou celle par laquelle la justice elle-même est espérée ? car le juste, vivant de la foi, espère la vie éternelle ; de son côté, la foi, toujours pressée par la faim et par la soif de la justice, et s'appuyant sur le progrès quotidien du renouvellement de l’homme intérieur15, s’avance de plus en plus dans la justice et espère en être pleinement rassasiée dans la vie éternelle où se réalisera cette parole du Psalmiste : « Dieu rassasie de biens à votre désir16 ». Telle est la foi par laquelle sont sauvés ceux à qui il est dit : « C'est, par la grâce que vous êtes sauvés en vertu de la foi ; et cela ne vient pas de vous; puisque c'est un don de Dieu; cela ne vient pas de vos oeuvres, afin que nul ne se glorifie. Car nous sommes son ouvrage, ayant été créés en Jésus-Christ dans les bonnes oeuvres que Dieu a préparées afin, de nous faire marcher17 »
Enfin, telle est cette foi qui opère par la charité18 et non par la crainte, non point parce qu'elle redoute le châtiment, mais parce qu’elle aime la justice. Et d'où nous vient donc cette charité par laquelle opère la foi ? Elle nous vient de Celui à qui la foi elle-même l’a demandée. En effet, quelque grande qu'elle soit en nous, elle n'y serait pas si elle n'avait été répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné19. Cette charité ainsi répandue dans nos cœurs n’est point l'amour par lequel Dieu nous aime, mais celui qu'il nous inspire pour son infinie grandeur. Il en est de même, soit de la justice de Dieu par laquelle il nous rend justes20 ; soit du salut par lequel il nous sauve lui-même21 ; soit de la foi en Jésus-Christ, par laquelle il fait de nous des fidèles22. Telle est la justice de Dieu; non content de nous enseigner cette justice par le précepte de la loi, il nous la confère par le don de son Esprit.
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Rom. VIII, 15. ↩
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Rom. III, 30. ↩
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Matth. V, 6. ↩
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Jean, I, 12. ↩
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Matth. VII, 7, 11. ↩
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I Cor. XV, 56. ↩
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Rom. VIII, 8. ↩
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Sag. VIII, 21. ↩
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Matth. VII, 7. ↩
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Jacq. I, 5, 6. ↩
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Rom. I, 17. ↩
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Id. IV, 5. ↩
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Id. III, 27. ↩
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Gal. V, 5. ↩
-
II Cor. IV, 17. ↩
-
Ps. CII, 5. ↩
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Ephés. II, 8, 10. ↩
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Gal. V, 6. ↩
-
Rom. V, 5. ↩
-
Rom. III, 24. ↩
-
Ps. III, 9. ↩
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Gal. II, 16. ↩