59.
C'est la pensée formulée en ces termes par le Psalmiste : « Bénis le Seigneur, ô mon âme, et que tout ce qui est en moi bénisse son saint nom ; n'oublie jamais ses bienfaits. Il a pardonné toutes tes iniquités, il a guéri toutes tes langueurs. C'est lui qui a racheté ta vie de la mort, il te couronne de miséricorde et d'amour, et rassasie de bonheur tes désirs ». Et dans la crainte que la difformité de notre ancienneté , c'est-à-dire de notre mortalité, n'osât espérer d'aussi grands biens, le Psalmiste ajoutait : « Ta jeunesse sera renouvelée comme celle de l'aigle », comme s'il eût dit : Toutes ces promesses que tu viens d'entendre concernent l'homme nouveau et le Nouveau Testament. Reprenez avec moi, je vous prie, chacun de ces biens, et goûtez affectueusement ces louanges adressées à la miséricorde, c'est-à-dire à la grâce de Dieu.
« Bénis le Seigneur, ô mon âme, et n'oublie jamais ses bienfaits ». Le texte porte « rétributions », et non pas tributions, parce que Dieu nous rend le bien pour le mal. « Il pardonne toutes tes iniquités », c'est ce qui a lieu dans le sacrement de baptême. « Il guérit toutes tes langueurs » . Regardons ce qui se passe dans la vie de l'homme fidèle, lorsque la chair convoite contre l'esprit et l’esprit contre la chair, de telle sorte que nous ne faisons pas ce que nous voulons1 ; car nous sentons dans nos membres une autre loi qui répugne à la loi de notre esprit; nous pouvons vouloir, mais nous ne pouvons pas faire le bien2. Or ces langueurs de l'ancienneté, pourvu que nous persévérions dans une intention, se guérissent de jour en jour sous l'influence d'une nouveauté croissante et de cette foi qui agit par la charité. « C'est lui qui rachète ta vie de la corruption »; c'est ce qui aura lieu à la résurrection suprême de tous les morts. « Il te couronnera de miséricorde et d'amour3 »; ce sera l'oeuvre du jugement lorsque le roi siégera sur son trône de justice pour rendre à chacun selon ses oeuvres ; mais alors qui se glorifiera d'avoir le coeur chaste ou d'être pur de tout péché4 ?
Il était donc nécessaire de rappeler la miséricorde et l'amour de Dieu dans une circonstance comme celle du jugement, où tout se passera avec une justice tellement rigoureuse, qu'il semble impossible d'y trouver place pour la miséricorde. Le Seigneur nous y couronnera dans sa miséricorde et son amour, mais toujours selon nos oeuvres. En effet, il mettra à sa droite celui à qui il pourra dire : « J'ai eu faim et vous m'avez donné à manger5 »; car « le jugement sera sans miséricorde pour celui qui n'aura pas fait miséricorde6 »; mais « bienheureux les miséricordieux, car le Seigneur leur fera miséricorde7 ». Ceux qui seront placés à la gauche iront dans les flammes éternelles, tandis que les justes entreront dans le royaume des cieux8; car, dit le Sauveur.« La vie éternelle consiste à vous connaître, vous le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé9 »; et cette connaissance, cette vision, cette contemplation produira dans notre âme l'entière satisfaction de ses désirs10. Le ciel, et c'est assez, au delà plus rien à désirer, à chercher, à demander. Il était dévoré de cette soif, celui qui disait au Sauveur « Montrez-nous le Père, et cela nous suffit », et Jésus-Christ de lui répondre : « Celui qui me voit, voit mon Père11 ». Car « la vie éternelle consiste à vous connaître, vous le seul vrai Dieu, et Jésus-Christ que vous avez envoyé». Mais si c'est voir le Père que de voir le Fils, celui qui voit le Père et le Fils voit aussi par là même l'Esprit du Père et du Fils. Par conséquent, en affirmant l'action de la grâce sur la volonté, nous ne détruisons pas le libre arbitre, notre âme bénit le Seigneur et n'oublie jamais ses rétributions ou ses bienfaits; elle n'ignore pas la justice et s'abstient dès lors d'établir la sienne propre12; elle croit en celui qui justifie le pécheur, et elle vit de la foi jusqu'à ce qu'il lui soit donné de contempler Dieu face à face, c'est-à-dire qu'elle vit de cette foi qui opère par la charité. Cette dernière est répandue dans nos coeurs, non point par la suffisance de notre volonté, non point par la lettre de la loi, mais par le Saint-Esprit qui nous a été donné.