16.
Je demande donc, ô mon fils, que votre présomption juvénile ne prenne point si fort en pitié mes séniles hésitations. Après avoir avoué que cette question de l'origine des âmes ne m'a été enseignée ni par Dieu ni par aucun homme spirituel, et qu'ainsi je ne puis la résoudre, je me sens disposé à soutenir que Dieu nous a caché cette vérité comme il nous en a caché beaucoup d'autres, plutôt que de m'exposer à avancer témérairement telle proposition dont l'obscurité serait telle que, non-seulement je ne pourrais la faire comprendre aux autres, mais que je ne la comprendrais pas moi-même. Combien moins je me résignerais à prêter des armes à ces hérétiques qui soutiennent l'innocence parfaite de l'âme des enfants, dans la crainte de faire retomber sur Dieu la responsabilité de cette faute. Ne valait-il pas mieux déclarer ces âmes innocentes, plutôt que d'accuser Dieu de les avoir rendues pécheresses en les unissant à une chair pécheresse, alors même qu'il savait, dans sa prescience infinie, que le bain de la régénération ne leur serait pas accordé, et qu'elles ne recevraient aucune grâce du baptême qui les arrachât à l'éternelle damnation ? Et en effet, combien d'enfants ne meurent-ils pas avant d'avoir reçu le baptême? Pour me soustraire à cette difficulté, je ne voudrais jamais tenir avec vous ce langage : «L'âme a mérité d'être souillée par la chair et de devenir pécheresse, quoique n'ayant jusque-là aucun péché qui pût lui mériter ce châtiment » ; et encore : «Le péché originel est effacé en dehors du baptême » ; enfin : «Le royaume des cieux est accordé, à la fin, à ceux qui n'ont pas été baptisés ». Si je ne voyais dans ces paroles un poison mortel pour la foi, peut-être ne craindrais-je plus de me prononcer définitivement sur cette matière. Jusque-là je crois bien plus sage de me conserver dans l'hésitation, plutôt que de me prononcer sans savoir; et je m'en tiens simplement à ce que l'Apôtre a enseigné d'une manière si claire et si formelle. C'est par un seul homme que tous les hommes qui naissent d'Adam sont soumis à la condamnation1, à moins qu'ils ne renaissent en Jésus-Christ par le sacrement de la régénération qu'il a institué lui-même, et que tous doivent recevoir avant de mourir s'ils veulent avoir part à cette vie éternelle à laquelle Dieu les a prédestinés dans son infinie miséricorde. Quant à ceux qui sont prédestinés à la mort éternelle, Dieu leur appliquera le châtiment dans la mesure la plus rigoureuse de justice, non-seulement pour les péchés actuels qu'ils auraient commis volontairement, mais aussi pour le seul péché originel, s'ils ne sont coupables que de ce péché. Telle est pour moi la solution de cette question; quelque secrètes que soient d'ailleurs les oeuvres de Dieu, avant tout je veux conserver toute l'intégrité de ma foi.
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Rom. V, 18. ↩