18.
A ce titre l'âme est-elle un corps? C'est là une question fort délicate et fort subtile. Vous affirmez d'abord que Dieu n'est point un corps, et je vous félicite de cette affirmation. Pourquoi donc me plonger de nouveau dans l'inquiétude quand vous vous écriez . « L'âme est-elle spirituelle en ce sens qu'elle ne soit plus, comme quelques-uns le pensent, qu'une inanité vide, qu'une substance aérienne et futile ? » A en juger par ces paroles, vous paraissez croire que tout ce qui manque de corps n'est plus qu'une substance vaine. S'il en est ainsi, comment osez-vous dire que Dieu n'a pas de corps, comment ne craignez-vous pas qu'on en conclue qu'il n'est qu'une substance vaine ? Soutenez, comme vous l'avez fait, que Dieu n'a pas de corps; mais gardez-vous d'ajouter qu'il n'est qu'une substance vaine ; d'où il suivra que tout ce qui n'a pas de corps n'est pas pour cela une substance vaine. Par conséquent on peut affirmer que l'âme est incorporelle, sans qu'on entende par là qu'elle n'est qu'une substance vaine et futile, puisque Dieu est incorporel, sans que pour cela il ne soit qu'une vide inanité. Comprenez donc qu'il y a une immense différence entre ce que j'ai dit et ce que vous me faites dire. Je suis loin de soutenir que l'âme soit d'une substance aérienne, car j'avouerais par cela même qu'elle est un corps. En effet, l'air est un corps, telle est du moins l'inébranlable conviction de tous ceux qui, parlant des corps, comprennent ce qu'ils disent. Maintenant, parce que j'ai dit que l'âme est incorporelle, vous en concluez que j'ai soutenu qu'elle est une substance aérienne ; c'est le contraire que vous deviez conclure : puisque j'ai dit qu'elle n'est pas un corps, elle n'est donc pas aérienne; et d'un autre côté, ce qui se remplit d'air ne saurait être une inanité. Comment les outres dont vous parlez ne vous l'ont-elles pas fait comprendre? Quand elles se gonflent, est-ce que ce n'est pas par l'effet de l'air qu'on y entasse ? Elles sont si peu une inanité, qu'on peut en mesurer le poids. Peut-être croyez-vous trouver une différence entre le souffle et l'air; mais le souffle n'est que l'air mis en mouvement, comme il est facile de s'en convaincre en agitant un éventail. D'un autre côté, prenez un vase qui vous paraît vide, et si vous voulez vous convaincre qu'il est plein, plongez l'ouverture dans l'eau et vous remarquerez que, par suite de la pression de l'air dont il est plein, le liquide ne pourra y pénétrer. Au contraire, si vous placez l'orifice horizontalement à la surface du liquide ou un peu de côté, le liquide s'y précipite tandis que l'air s'échappe par la partie de l'orifice restée libre. Il est plus facile de faire soi-même cette opération que de la décrire. Mais pourquoi insister plus longtemps? Soit que vous compreniez ou que vous ne compreniez pas que l'air est un corps, toujours est-il que vous devez admettre que j'ai dit de l'âme qu'elle est, non pas aérienne, mais absolument incorporelle. Cette propriété, vous l'attribuez à Dieu, dont pourtant vous n'osez dire qu'il soit une inanité, et en qui vous devez reconnaître une substance toute-puissante et immuable. Pourquoi donc, si l'âme est incorporelle, craindrions-nous qu'elle ne fût plus qu'une inanité vide, puisque Dieu est incorporel sans être pour cela une inanité vide ? J'en conclus qu'un Dieu incorporel a pu créer une âme incorporelle, comme un être vivant peut engendrer un être vivant, quoiqu'un être immuable ne puisse créer qu'un être changeant, quoiqu'un être tout-puissant ne puisse créer qu'une nature bien inférieure à lui-même.