25.
Ne concluez pas de mon raisonnement que j'admette l'impossibilité , pour l'âme d'une personne morte ou endormie, d'éprouver des sensations agréables ou tristes, absolument comme si elle les ressentait dans un corps réel. Dans le sommeil, quand nous éprouvons quelque souffrance ou quelque douleur, nous conservons parfaitement notre personnalité ; et si ces images pénibles ne disparaissaient pas à notre réveil, nous en ressentirions la tristesse la plus amère. Toutefois, il faudrait n'y avoir jamais réfléchi sérieusement, pour supposer que tous ces objets imaginaires, sur lesquels nous promenons nos songes et nos rêves, sont des corps réels. N'est-il pas plus juste de dire que si l'âme était un corps elle ne pourrait saisir par la pensée les images de ces nombreux objets tels qu'ils nous apparaissent ? Je ne suppose pas, en effet, que vous alliez jusqu'à soutenir que ce sont vraiment des corps qui nous apparaissent en songe quand nous rêvons du ciel, de la terre, de la mer, du soleil, de la lune, des étoiles, des fleuves, des montagnes, des arbres, des animaux. Croire que ce sont autant de corps qui nous apparaissent ainsi en vision, ce serait de la dernière absurdité; et cependant, comme ces visions ressemblent bien à des corps ! On peut ranger dans la même classification toutes les apparitions qui peuvent nous venir de Dieu, soit pendant un songe, soit pendant une extase; mais quelle est la nature de ces apparitions, quelle en est la matière, c'est ce que personne ne peut ni chercher, ni connaître. Tout ce que nous savons, c'est que ces apparitions sont spirituelles et non corporelles. Ce ne sont pas là des corps, mais des représentations de corps, formées par la pensée et contenues dans les profondeurs de la mémoire ; elles sortent ainsi de je ne sais quels coins secrets et sous je ne sais quelle forme étonnante, et viennent ainsi se placer en quelque sorte sous nos yeux. Or, si l'âme était un corps, pourrait-elle saisir par la pensée ces grandes et vastes images, et la mémoire pourrait-elle les contenir? N'avez-vous pas dit vous-même : «La substance corporelle de l'âme ne dépasse pas les limites extérieures du corps?» Maintenant je demande par l'effet de quelle grandeur qui ne lui appartient pas l'âme pourrait-elle contenir les images de ces corps prodigieux, de ces espaces immenses, de ces régions sans limites? Et l'on s'étonnerait qu'elle s'apparût à elle-même dans la ressemblance de son corps, alors même qu'elle n'a point de corps? En effet, le corps avec lequel elle apparaît en songe n'est point un corps réel, et cependant c'est avec cette image ou ressemblance de son corps qu'elle parcourt des lieux connus et inconnus, et qu'elle éprouvé toutes les impressions de la joie ou de la douleur. Je ne pense pas, du reste, que voua ayez la témérité de dire que cette représentation du corps et des membres, telle qu'elle nous apparaît en songe, soit un corps véritable? A ce prix il faudrait regarder comme véritable et réelle cette montagne dont l'âme semble gravir la pente , cette maison dans laquelle elle croit pénétrer, cet arbre ou ce bois sous lequel elle semble s'asseoir, et cette eau qu'elle semble boire. En un mot, si l'âme est un corps parce qu'elle s'apparaît comme telle dans les songes, il faudra dire que tous ces objets sur lesquels elle promène ses rêves sont aussi des corps véritables.