7.
II se présente encore une question plus importante à mes yeux : Pourquoi si peu d'hommes peuvent-ils rendre compte de faits accomplis également par tous? Parce que, me direz-vous peut-être, il n'y a que peu d'hommes qui aient étudié cette branche de la science médicale, appelée l'anatomie ; quant aux autres, ils ne la connaissent pas parce qu'ils n'ont pas voulu l'apprendre. Je pourrais vous répondre que plusieurs essaient, mais en vain, d'acquérir cette science; leur esprit est tellement obtus, qu'ils ne peuvent saisir l'explication qui leur est donnée de ce qui se passe en eux et par eux. Mais voici quelque chose de plus grave : Pourquoi n'ai-je pas besoin qu'aucun art vienne m'apprendre qu'il y a au firmament le soleil, la lune et les étoiles, tandis que j'ai besoin que la science m'apprenne si le mouvement que j'imprime à mon doigt part du coeur ou du cerveau, ou de l'un et l'autre à la fois, ou d'aucun de ces deux organes? Je n'ai pas besoin que tel docteur vienne m'apprendre que ces astres se trouvent à une grande hauteur au-dessus de moi, et j'attends que quelqu'un vienne me dire d'où part tel mouvement qui s'opère en moi. On peut bien me dire que la pensée siège dans mon coeur, mais ce que je pense, personne ne peut ni le savoir ni le dire; et puis, si nous voulons connaître dans quelle partie du corps siège ce coeur dans lequel se forme la pensée, il nous faut le demander à un homme qui ne sait pas ce que nous pensons. Quand la loi nous ordonne d'aimer Dieu de tout notre coeur, je sais fort bien qu'il ne s'agit pas là de ce viscère caché dans notre poitrine, mais de cette puissance créatrice de nos pensées, et à laquelle on donne le nom de coeur, parce qu'il nous est aussi impossible d'empêcher cette puissance de penser, qu'il nous est impossible d'empêcher notre coeur de lancer le sang dans toutes les parties du corps. D'un autre côté, c'est l'âme qui est le principe de tous les sens du corps; pourquoi donc, malgré les ténèbres les plus épaisses, et quoique nous fermions les yeux à l'aide d'un autre sens qui s'appelle le toucher, pouvons-nous parfaitement compter tous nos membres extérieurs, tandis que malgré la présence intérieure de notre âme sans laquelle rien n'aurait ni vie ni mouvement, nous ne connaissons aucun des viscères intérieurs qui nous composent; je ne parle pas seulement des médecins empiriques, des anatomistes, des dogmatiques, des méthodiques, mais je dis en général que l'homme ne se connaît pas plus qu'il ne connaît son semblable.