10.
Nous nous flattons souvent de conserver le souvenir de telle ou telle chose, et dans cette présomption nous omettons de recourir à l'Ecriture. Puis il arrive bien souvent que nous invoquons ces souvenirs, mais en vain, et alors nous nous repentons de notre présomption et de notre négligence à confier nos impressions au papier. Puis enfin, tout à coup ces souvenirs reparaissent, alors même que nous ne les cherchons plus. N'étions-nous donc plus les mêmes quand nous agitions ces pensées en nous-mêmes? Et cependant nous ne sommes plus ce que nous étions, quand nous ne pouvons réveiller en nous les mêmes pensées. Quoi donc? Voilà que j'ignore comment il peut se faire que nous nous échappions et que nous soyons rendus à nous-mêmes? Sommes-nous autres, sommes-nous ailleurs quand nous cherchons, sans le trouver, ce que nous avons confié à notre mémoire; et quand, après n'avoir pu parvenir j usqu'à nous, comme si nous étions placés ailleurs, nous nous retrouvons en quelque sorte quand nous trouvons ce que nous cherchions? Où cherchons-nous, si ce n'est pas en nous-mêmes? et que cherchons-nous, si ce n'est pas nous-mêmes? comme si nous n'étions pas en nous, ou que nous soyons sortis de nous-mêmes. Si vous l'envisagez en face, un tel abîme n'est-il pas bien capable de vous faire trembler? Et cet abîme est-il autre chose que notre propre nature, non pas notre nature telle qu'elle a pu être autrefois, mais telle qu'elle est aujourd'hui? Et cependant, même en ce sens, nous avons encore plus à chercher qu'à comprendre dans cette nature qui nous touche de si près. Souvent, en m'entendant proposer une question, je me suis flatté de pouvoir la résoudre par la réflexion; j'ai réfléchi, et la réponse ne s'est pas présentée; d'autres fois, au moment où j'y pensais le moins, cette réponse se présentait d'elle-même. J'en conclus que les forces de mon intelligence ne me sont point connues, et je crois qu'elles ne vous sont pas connues davantage.