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Mais la suite ne me. laisse pas sans inquiétude. Citant le cinquième chapitre du livre de Célestins; le réquisitoire reprochait aux Pélagiens « d'affirmer que chaque homme peut posséder toutes les vertus et toutes les grâces, et denier la diversité des grâces, telle que l'Apôtre l'enseigne ». Pélage répondit: « Il est vrai que nous l'avons dit, mais l'accusation portée contre nous n'en est pas moins inique et téméraire. Nous ne nions pas la diversité des grâces, mais nous disons que Dieu confère toutes les grâces à celui qui en est digne, comme il les a conférées à Paul ». Le synode répliqua : « Sur le don des grâces, telles qu'elles ont été conférées au saint Apôtre, vous n'avez d'autre doctrine que la doctrine même de l'Église ». Mais, dira quelqu'un, pourquoi donc se tourmente-t-il? Nierez-vous que l'Apôtre ait reçu toutes les vertus et toutes les grâces? Je réponds: S'il s'agit de toutes les vertus et de toutes les grâces que l'Apôtre énumère dans le même passage, et dont les évêques entendaient parler quand ils ont dit à Pélage qu'il partageait en ce point la doctrine de l'Église, je confesse sans hésiter que l'Apôtre les possédait toutes. Voici comme il s'exprime: « Dieu a établi dans l'Église: premièrement les Apôtres, secondement les Prophètes, troisièmement les docteurs, ensuite ceux qui ont la vertu d'opérer des miracles, puis ceux qui ont la grâce de guérir les maladies, le don d'assister les frères, de gouverner et de parler diverses langues1 ». Quoi donc ! dirons-nous que l'Apôtre ne possédait pas tous ces dons? Qui oserait le soutenir? Par cela même qu'il était apôtre, il avait l'apostolat. Il avait aussi le don de prophétie. N'est-ce pas de lui cette prophétie : « L'Esprit déclare ouvertement que dans les derniers temps quelques-uns abandonneront la foi pour s'attacher aux esprits séducteurs, aux doctrines des démons2 ? » Il était également « le docteur des nations dans la foi et la vérité3 » ; il faisait des miracles et opérait des guérisons ; n'a-t-il pas secoué sans en souffrir aucune atteinte, la vipère suspendue à sa main4? D'une seule parole il a rendu un paralytique à la santé5. Quant au pouvoir d'aider ses frères, le texte sur ce point est quelque peu obscur, et il est difficile d'en préciser l'application ; cependant pourrait-on refuser cette grâce à un Apôtre qui a travaillé si puissamment au salut de ses frères? Quant au don de gouverner, ne brille-t-il pas en lui avec un éclat extraordinaire, puisque Dieu s'est servi de lui pour gouverner un si grand nombre d'Églises, et qu'il les gouverne, encore aujourd'hui pas ses Epîtres? Quelle langue peut-il avoir ignoré, lui qui disait: « Je rends grâces à Dieu qui m'a donné de parler toutes vos langues6 ? » Ainsi donc aucun de ces dons ne manquait à l'Apôtre ; voilà pourquoi les juges approuvèrent d'une manière absolue la réponse de Pélage. « Toutes les grâces lui avaient été conférées ». Mais n'y a-t-il pas d'autres grâces dont il n'est point parlé dans ce passage ? Paul était assurément, dans le corps mystique de Jésus-Christ, l'un des membres les plus privilégiés ; mais celui qui en est la tête ne possédait-il pas des grâces et plus abondantes et plus précieuses encore, soit dans sa chair, soit dans son âme, en un mot dans l'humanité dont le Verbe divin s'était revêtu par l'union hypostatique, afin qu'il fût notre tête et que nous fussions son corps ? D'un autre côté, si toutes les propriétés peuvent être accordées à chacun des membres de l'Église, sur quoi repose donc la similitude si souvent établie entre les membres de l'Église et les membres d'un corps? Il y a sans doute des biens communs à tous les membres d'un corps, comme la santé, la vie; mais il en est aussi qui sont particuliers à chacun d'eux, car l'oreille ne perçoit pas les couleurs, et l'œil ne distingue pas les sons. De là cette parole : « Si tout le corps était oeil, où serait l'ouïe ? et s'il était tout ouïe, où serait l'odorat7? » L'Apôtre ne prétend pas sans doute qu'il soit impossible à Dieu de donner aux oreilles la faculté de voir, et aux yeux le pouvoir d'entendre. Cependant l'Apôtre établit assez clairement que dans le corps de Jésus-Christ, qui est l'Église, il y a une diversité réelle de grâces, de manière à s'approprier à chacun des membres en particulier. Voilà pourquoi les accusateurs de Pélage voulurent maintenir le principe de la distinction des grâces; voilà pourquoi aussi, si les juges approuvèrent la réponse de Pélage, c'est uniquement en considération de la personne de Paul en qui se trouvaient réunis tous les dons qu'il énumère dans ce passage de son épître.