33.
Mais enfin, pourquoi donc ai-je pu dire que ce chapitre m'inspirait de vives inquiétudes ? C'est à cause de ces paroles de Pelage « Dieu donne toutes les grâces à celui qui en est digne, comme il les a données à l'Apôtre ». Cette réponse ne m'inquiéterait nullement, si je n'y voyais en jeu la plus importante des questions, la question de la grâce de Dieu. Si on l'attaque sous nos yeux, pouvons-nous garder le silence et dissimuler un crime aussi grave? Pélage ne dit pas de Dieu qu'il donne toutes les grâces à qui il veut, mais à celui qui est digne de les recevoir. En lisant ces paroles, comment ne me serais-je pas alarmé ? La grâce peut-elle donc rester grâce et conserver sa signification propre, si elle n'est pas donnée gratuitement, si elle n'est reçue que par celui qui la mérite? Dira-t-on que je fais injure à l'Apôtre en disant qu'il ne méritait pas la grâce? Mais l'injure que je pourrais lui faire, tout en me rendant moi-même digne de châtiment, ne serait-ce pas de refuser de croire à sa parole? Quand il définit la grâce, ne tient-il pas surtout à nous la présenter comme nous étant donnée gratuitement? « Si c'est par grâce, ce n'est donc pas par les oeuvres ; ci autrement la grâce ne serait plus grâce1 ». « La récompense qui se donne à quelqu'un pour ses oeuvres, ne lui est pas imputée comme une grâce, mais comme une dette2»: Ainsi donc, ce que l'on mérite doit être regardé comme une dette; si c'est une dette, ce n'est plus une grâce, car la grâce se donne et la dette se paie. La grâce est donc accordée sans qu'on l'ait méritée, afin que la dette soit payée à ceux qui l'ont gagnée; quant à Dieu, après avoir donné gratuitement aux hommes ce qu'ils n'avaient pas, il leur fait acquérir le droit de posséder ce qu'ils auront mérité.