36.
L'Apôtre n'a fait que recevoir la récompense qu'il avait méritée; mais il n'avait aucunement mérité la grâce de l'apostolat qui lui a été confié. Aurai-je à me repentir de cette parole ? Non ; car je me justifierai par son propre témoignage, et avant de m'accuser de témérité il faudra l'accuser lui-même de mensonge. Afin donc d'exalter en lui-même les dons que Dieu lui a départis, non pas pour se glorifier en lui-même, mais pour en rapporter à Dieu seul toute la gloire', il proclame, il atteste que non-seulement l'apostolat lui fut conféré sans aucun mérite antérieur de sa part, mais qu'il lui fut conféré malgré son indignité ; la gloire en revient donc tout entière à la grâce de Dieu, dont on ne saurait trop célébrer l'infinie miséricorde. « Je ne mérite pas », dit-il, « d'être appelé apôtre » ; n'est-ce pas dire hautement qu'il n'était pas digne de l'apostolat ? Et c'est, en effet, la pensée formellement exprimée dans plusieurs manuscrits latins. Ainsi se trouve résolue la question qui nous occupe, car toutes les grâces se trouvent renfermées dans le bienfait de l'apostolat. Ne convenait-il pas, ou même ne fallait-il pas qu'un apôtre fût prophète et docteur, qu'il eût le don d'opérer des miracles, de guérir les maladies, d'aider ses frères, de gouverner les églises, et de parler toutes les.langues? Tous ces dons se trouvent implicitement renfermés dans le nom seul d'Apôtre. C'est donc saint Paul lui-même que nous devons consulter, c'est lui que nous devons entendre, c'est à lui- que nous dirons Grand Apôtre, le moine Pélage soutient vous avez dit de vous-même que vous aviez que mérité de recevoir toutes les grâces de votre apostolat; qu'en pensez-vous ? « Je ne suis pas digne », répond-il, « d'être appelé apôtre ». Sous prétexte d'honorer: Paul, ajouterai-je plutôt foi à ce que Pélage me dit de Paul, qu'à ce que Paul me dit de lui-même? II ne saurait en être ainsi, autrement, bien loin de l'honorer, je me chargerais moi-même. Voyons ensuite pourquoi il se proclame indigne de l'apostolat; « parce que», dit-il, « j'ai persécuté l'Eglise de Dieu » . Laissons à ces paroles toute leur énergie, et Paul, au lieu d'être appelé à l'apostolat, nous paraîtra plutôt digne de la réprobation. Tout l'amour que l'on peut avoir pour le prédicateur empêchera-t-il de haïr le persécuteur ? C'est donc en toute vérité qu'il a pu dire : « Je ne suis pas digne d'être appelé apôtre, puisque j'ai persécuté l'Eglise de Dieu ». Vous qui avez fait un si grand mal, comment avez-vous mérité un si grand bien ? Que toutes les nations entendent sa réponse : « C'est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis ». Le plus bel éloge que l'on puisse faire de la grâce, n'est-ce pas de dire qu'elle est conférée sans avoir été méritée? « Et la grâce de Dieu », dit-il, « n'a pas été stérile en moi ». Voulant également montrer la puissance du libre arbitre, il adresse à tous les hommes ce précepte : « Nous vous ordonnons et nous vous prions. de ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu1 ». Et si vous voulez savoir pourquoi la grâce de Dieu n'a pas été stérile dans son âme, écoutez ce qui suit : « J'ai plus travaillé que tous les autres ». Il n'a donc pas travaillé pour obtenir la grâce, mais il l'a obtenue pour travailler; par la même raison, la grâce lui a été conférée gratuitement malgré son indignité, afin de le rendre digne de recevoir la couronne qu'il aura méritée. Il n'ose pas davantage s'attribuer les oeuvres qu'il a accomplies. En effet, s'il a dit : « J'ai plus travaillé que les autres », il ajoute aussitôt : « Ce n'est pas moi, mais la grâce de Dieu avec moi2 ». Je vous salue donc, d vous le grand maître, le grand confesseur, le grand prédicateur de la grâce ! Que veulent donc dire ces paroles : «J'ai plus travaillé, non pas moi ? » A peine la volonté s'était-elle attribué quelque pouvoir, qu'aussitôt la piété s'inquiète, et l'humilité tremble, parce que la faiblesse s'est reconnue elle-même.