17.
Et cependant, nous disons hautement qu'il ne saurait y avoir de vertu véritable que dans celui qui est juste. D'un autre côté, il ne peut y avoir de justice qu'autant que l'on vit de la foi, car « le juste vit de la foi1». En dehors des Pélagiens, et peut-être en dehors de vous-même, trouverait-on un seul chrétien qui osât donner le nom de juste à un infidèle, à un impie, à un esclave du démon ? Que cet infidèle s'appelle Fabricius, Fabius, Scipion ou Régulus, peu m'importent noms , par l'éclat desquels vous avez cru m'effrayer, comme si nous étions encore dans, l'antique curie de Rome. Libre à vous, sans doute, de m'appeler à l'école de Pythagore ou de Platon, dans laquelle les philosophes les plus savants et les plus distingués ne regardaient comme vertus véritables que celles qui avaient été imprimées en quelque sorte dans notre esprit, par la forme de cette substance éternelle et immuable qui est Dieu. Dussé-je vous suivre à cette école, je vous crierais encore dans toute la liberté de ma foi et avec toute l'énergie dont Dieu me rendrait capable : Non, la véritable justice n'était pas le partage de tous ces hommes: « Le juste vit de la foi. La foi vient de ce qu'on a entendu, et on a entendu par la parole de Jésus-Christ, car Jésus-Christ est la fin de la loi, pour justifier tous ceux qui croiront en lui2 ». Comment peuvent-ils être véritablement justes, ceux qui regardent comme une honte l'humilité du juste par excellence ? Leur intelligence les poussait vers lui, mais leur orgueil les en a éloignés pour toujours : « Car, ayant connu Dieu , ils ne l'ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces ; mais ils se sont égarés dans leurs vains raisonnements, et leur coeur insensé a été rempli de ténèbres. Ainsi ils sont devenus fous, en s'attribuant le nom de sages3 ». Puisqu'ils n'ont point la véritable sagesse, ont-ils donc la véritable justice ? Si vous la leur attribuez, rien ne vous empêchera plus de dire qu'ils sont parvenus à ce royaume dont il est écrit : « Le désir de la sagesse conduit au royaume4 ». C'est donc en vain que Jésus-Christ est mort si les hommes, sans la foi de Jésus-Christ, et par quelque moyen que ce soit, parviennent à la foi véritable, à la vertu véritable, à la justice véritable, à la véritable sagesse. Parlant de la loi, l'Apôtre avait dit : « Si la justice est conférée par la loi, c'est en vain que Jésus-Christ est mort5 » ; on pourrait dire avec tout autant de raison : Si la justice est conférée parla nature et la volonté, c'est donc en vain que Jésus-Christ est mort. Si la simple doctrine des hommes peut conférer la justice quelle qu'elle soit, c'est en vain que Jésus-Christ est mort. Car ce qui produit la justice, produit par le fait même le droit au royaume de Dieu. En effet, Dieu serait injuste, s'il n'admettait pas le juste véritable dans son royaume, car son royaume, c'est la justice, selon cette parole : « Le royaume de Dieu a n'est ni la nourriture, ni le breuvage, mais la justice, la paix et la joie6 ». Or, si les impies ne possèdent pas la véritable justice, les autres vertus dont on voudrait les gratifier ne sont pas, et ne peuvent être des vertus véritables ; ne suffit-il pas que les dons de Dieu ne soient pas rapportés à leur auteur pour que les impies qui en usent deviennent injustes ? Par conséquent, la continence ou la pudeur des impies ne sauraient être des vertus véritables.