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Vous n'avez- pas sur ces vérités les sentiments qu'éprouve tout coeur chrétien, et plutôt que de vous démentir, vous préférez voir dans tout cela un effet du destin. C'est vous, et non pas nous, qui avez dit: « Ce qui se fait sans mérite, se fait par le destin ». De là nous devrions conclure, que tout ce que les hommes reçoivent sans l'avoir mérité, c'est du destin qu'ils le reçoivent ; mais pour détruire autant que possible cette conclusion, vous invoquez partout des mérites antérieurs, soit bons, soit mauvais, dans la crainte que toute place vide de mérites ne soit aussitôt occupée par le destin. A cela nous vous répondons: Si tout ce que les hommes reçoivent sans aucun mérite de leur part, doit être attribué au destin, d'où il suit qu'il faut multiplier les chances de mérite pour diminuer celles du destin ; nous devons conclure que c'est par le destin que les enfants sont baptisés, et par le destin qu'ils entrent dans le royaume des cieux, car ces faveurs n'ont été par eux méritées en aucune manière. Par la même raison, c'est par le destin que les enfants ne sont pas baptisés, et par le destin qu'ils n'entrent pas dans le royaume des cieux, puisqu'aucune faute de leur part ne leur a mérité cette double infortune.C'est ainsi que ces petits enfants, encore privés de l'usage de la parole, vous prouvent éloquemment que vous êtes les adorateurs du destin. Pour nous, au contraire, comme nous confessons dans tous les hommes la souillure originelle, nous disons que c'est par le pur effet de la grâce que les enfants entrent dans le royaume de Dieu, car Dieu est bon ; nous disons également, que c'est en punition de cette souillure que d'autres n'y entrent pas, car Dieu est juste ; ni d'un côté, ni de l'autre, le destin ne joue aucun rôle, car Dieu agit toujours comme il le veut. Ce Dieu dont clous célébrons en toute vérité la miséricorde et la justice1, nous apprend lui-même qu'il condamne les uns selon sa justice, et qu'il délivre les autres selon sa miséricorde. Et si nous sommes tentés de lui demander pourquoi il condamne celui-ci et délivre celui-là, écrions-nous aussitôt : Qui sommes-nous donc pour oser répondre à Dieu ? Le vase d'argile dit-il à celui qui l'a fait : Pourquoi m'avez-vous fait ainsi? Le potier n'a-t-il pas le pouvoir de faire, de la même masse d'argile, un vase destiné à des usages honorables, et un vase destiné à de vils usages ; le premier selon sa miséricorde, et le second selon sa justice2? Il ne les fait pas tous deux des vases d'honneur, car ils pourraient croire qu'ils ont mérité cet honneur par leur propre innocence ; il ne les fait pas non plus tous deux des vases d'ignominie, afin que l'on sache due la miséricorde l'emporte sur la justice3. Par conséquent, celui qui est condamné n'a pas à se plaindre du supplice qui lui est justement infligé ; et celui qui est délivré gratuitement n'est point tenté de se prévaloir de son propre mérite ; bien plutôt, il rend: d'humbles actions de grâces, parce que, dans le malheureux justement condamné, il voit mieux l'étendue du bienfait dont il a été gratifié.
