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« On doit repousser », dites-vous, « toute opinion qui ferait du démon l'auteur, soit des membres des hommes, soit de la sensibilité de ces membres ». Pourquoi nous opposer des absurdités dont vous êtes le seul inventeur ? Dans tout ce qui constitue la nature de l'homme, rien n'est l'oeuvre du démon ; mais ce qui était sorti bon des mains de Dieu, le démon l'a souillé en jetant l'homme dans les séductions du péché. C'est ainsi que le libre arbitre de nos deux premiers parents a jeté dans le malle genre humain tout entier. Cette déchéance générale de notre race s'impose de toute part à vos sens dans sa triste réalité. Vous êtes nomme : que rien de ce qui est humain ne vous paraisse étranger1, et si vous êtes exempt de telle ou telle infortune, soyez compatissant pour ceux qu'elle fait gémir. Que vous soyez porté sur le flot de tous les bonheurs humains, j'y consens, mais je n'en affirme pas moins qu'aucun de vos jours n'est exempt de cette guerre intestine, pourvu toutefois que vous vous efforciez de rendre vos oeuvres conformes à votre croyance. Vous avez pu oublier bien des choses; alors voyez les enfants, quels maux ne souffrent-ils pas ? et s'ils grandissent, n'est-ce pas au sein de toutes les vanités, de tous les tourments, de toutes les erreurs et de toutes les craintes ? Les voici à l'âge adulte et capables de servir Dieu ; aussitôt l'erreur les assiège pour les tromper ; le travail ou la douleur pour les briser ; la passion pour les dévorer ; le chagrin pour les accabler ; l'orgueil pour les exalter. Comment dépeindre en quelques traits les maux de toute sorte dont se compose le joug douloureux qui pèse sur les enfants d'Adam ? Les philosophes païens ne savaient ou ne croyaient rien du péché du premier homme ; mais le spectacle de toutes nos misères était pour eux d'une telle évidence que, pour l'expliquer, ils enseignaient que nous naissons pour expier des crimes commis dans une vie antérieure, et que nos âmes sont unies à des corps corruptibles, à peu près comme ces malheureux captifs que les Etrusques enchaînaient vivants à des cadavres en pleine corruption. L'Apôtre condamne formellement l'opinion qui voudrait nous faire croire que les âmes ne sont unies à des corps que pour les punir des fautes commises dans une vie antérieure. Mais alors il faut chercher la cause de ces maux que nous souffrons, ou bien dans l'injustice, ou bien dans l'impuissance de Dieu, ou bien dans le châtiment d'un premier et antique péché. Or, Dieu n'est ni injuste, ni impuissant; dès lors, malgré votre obstination, vous êtes contraint d'avouer que la solidarité de la faute originelle est la seule explication possible de ce joug si lourd qui pèse sur les enfants d'Adam depuis le sein de leur mère jusqu'au jour de leur sépulture2.