59.
A mes yeux, dès lors, le démon est le corrupteur et non pas le créateur de la substance. Par la blessure qu'il nous a faite, il soumet à son empire ce qu'il n'a pas créé ; du reste, ce pouvoir même, il ne le tient que de la justice infinie de Dieu, et Dieu, en le lui conférant, n'a pu, ni limiter sa propre puissance, ni soustraire quoi que ce fût à son empire pire souverain. Notre première naissance était condamnée, Dieu lui-même en institua une seconde. Et pourtant, la première n'est pas tellement mauvaise, que la bonté de Dieu n'y éclate encore dans la formation d'une nature raisonnable issue d'une semence maudite ; n'est-ce pas également cette inépuisable bonté de Dieu, qui nourrit et développe la vie dans la multitude des hommes pécheurs ? Supposez que tout à coup cette bonté se retire et cesse de présider à la formation et à la vivification des semences, toute génération cesserait à l'instant, et tous les êtres déjà produits rentreraient aussitôt dans le néant. Reprocher à Dieu, qui vivifie toutes choses, de vivifier également tous ces hommes qui courent à leur perte sous l'impression de leur volonté vicieuse , ce serait assurément le comble de la folie et de l'impiété; pourquoi donc abhorrer les œuvres de Dieu, parce que, lui qui est le créateur de toutes choses, ne refuse pas son action créatrice à des hommes qui se trouvent condamnés par le vice même de leur origine ? Et puis, faut-il oublier que, par les mérites du souverain Médiateur, ces hommes justement condamnés par le vice de leur origine, trouvent leur délivrance dans une miséricorde purement gratuite, ceux du moins qui ont été choisis, avant la création du monde, par l'élection de la grâce, et non pas en vertu de leurs oeuvres passées, présentes, ou futures ? Autrement la grâce ne serait plus une grâce1. C'est là ce qui se réalise admirablement dans la personne des enfants, à qui l'on ne peut attribuer ni des œuvres passées, puisqu'ils n'en ont fait aucune, ni des œuvres présentes, puisqu'ils ne sauraient agir, ni enfin des œuvres futures, quand ils meurent dans ces premiers âges de la vie.
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Rom. X , 6. ↩