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Jul. Tu partages aussi en un point l'opinion de Jovinien : car celui-ci, dans le second livre de son ouvrage, dit que l'homme baptisé ne saurait pécher; mais qu'avant le baptême, il a à la fois le pouvoir de pécher et de ne point pécher. Jovinien pense donc avec toi que, à partir du moment de leur baptême, les hommes se trouvent dans la nécessité de faire le bien : cette maxime est aussi fausse que cette autre enseignée par toi , savoir que, avant le baptême, les hommes sont dans la nécessité de faire le final. Lorsque tu dis : « L'homme ne peut avoir aucune bonne volonté, s'il n'est secouru par celui qui ne peut vouloir le mal » ; sans aucun doute, tu prétends que l'homme obtient ce pouvoir de faire le bien en participant à la grâce et à la nature bonne; tu ajoutes cependant que cela peut avoir lieu dès le moment du baptême. Ainsi, en voulant rester également éloigné et de l'impiété et de la crainte de Dieu, tu t'es réfugié dans la société de Jovinien, mais tu n'as pas encore jusqu'à ce jour abandonné la secte infâme des Manichéens. Toutefois , autant Manès est plus impie que Jovinien, autant celui-ci est moins coupable que toi. Car, pour résumer plus brièvement encore ce que nous avons établi jusqu'ici, Manès enseigne que dans tous les hommes la nature des ténèbres, qui leur inspire une volonté mauvaise, commet le péché et ne peut pas accomplir d'autres oeuvres que le péché. Tu enseignes, toi, que dans tous les hommes, la nature qui a été flétrie par les ténèbres du premier péché et qui est devenue ainsi le principe véritable de la volonté mauvaise, commet elle-même le péché et ne peut vouloir le bien. Jovinien enseigne que la volonté de l'homme commet le péché, mais seulement jusqu'au moment où l'homme reçoit le baptême : après le baptême, cette volonté ne peut plus avoir d'autre objet que le bien. Les catholiques, c'est-à-dire nous, nous enseignons que depuis le commencement jusqu'a la fin de la vie, sans aucune violence provenant de la nature, la volonté commet le péché dans chaque homme en particulier; mais une volonté qui, au moment où elle pèche, même avant le baptême, a le pouvoir de s'abstenir du mal et de faire le bien, de telle sorte qu'elle agit avec une liberté véritable. Ainsi, aucun de vous n'est en possession de la vraie doctrine : mais du moins, puisque vos erreurs découlent d'un principe commun et unique, ta manière de procéder serait moins révoltante, si tu admettais' les conséquences de ce principe; si, quand tu enseignes avec Manès que le péché est commis par la nature mauvaise, c'est-à-dire par une nature privée de liberté, si tu disais avec lui aussi que cette nature ne saurait être purifiée par aucun moyen (il est vrai que tu établis cette maxime en un autre endroit) ; et si tu ajoutais cette autre conséquence nécessaire, que, par là même, le sacrement de baptême est complètement inutile. Ou bien, en supposant que tu prétendes avec Jovinien que les inclinations au bien naissent au moment où l'on reçoit la foi, si tu disais avec le même Jovinien que la nature était bonne, même avant le baptême, et que, bien que cette nature eût le pouvoir, elle n'était pas cependant soumise à la nécessité de faire le mal, et qu'ainsi, par la consécration du baptême, elle a été élevée à un état incontestablement meilleur. De cette manière, en effet, tu te trouverais à la vérité en contradiction avec la raison, mais du moins, tu ne contredirais en rien les opinions de ceux que tu prends pour maîtres.
Aug. Tu as oublié quel est notre enseignement : je te prie de vouloir bien rappeler tes souvenirs à cet égard. C'est nous qui, malgré vos réclamations, enseignons que les justes eux-mêmes, tant qu'ils sont dans cette vie, ont toujours sujet de dire avec vérité et en leur propre nom, dans leurs prières : « Pardonnez-nous nos offenses[^6] ». Et s'ils disent qu'ils n'ont point de péché, ils se trompent eux-mêmes, et la vérité n'est pas en eux[^7]. Que signifie donc ce verbiage sans fondement, par lequel tu déclares que je partage les sentiments de Jovinien, quand il enseigne que l'homme baptisé no peut plus pécher? A Dieu ne plaise que nous soyons sourds et muets jusqu'à ne pas entendre ces paroles que répètent les fidèles baptisés, ou jusqu'à ne pas les répéter avec eux : « Pardonnez-nous nos offenses ! » Dès le jour où l'homme commence à se déterminer par sa volonté propre, il possède à la fois le pouvoir de commettre et de ne point commettre le péché ; mais il ne saurait exercer le dernier de ces deux pouvoirs sans le secours de Celui qui a dit : « Sans moi vous ne pouvez rien faire[^1] » ; il peut au contraire exercer le premier par sa volonté propre, soit en se trompant lui-même, soit en se laissant tromper par un autre séducteur, soit enfin parce qu'il se trouve soumis à l'esclavage du péché. Or, nous connaissons des hommes qui ont été , avant le baptême, secourus par l'Esprit de Dieu pour que leur volonté se portât aux choses de Dieu, comme Corneille[^2] ; nous en connaissons certains autres qui n'ont pas reçu ce secours, même après le baptême, comme Simon le Magicien[^3]. Les jugements de Dieu sont, en effet, un abîme sans fond[^4], et sa grâce n'est point le fruit des oeuvres; autrement la grâce ne serait plus une grâce[^5]. Cesse donc de nous attribuer les noms injurieux de disciples de Manès et de Jovinien : si tu pouvais ouvrir les yeux, tu verrais quels sont ceux sur qui retombent les injures que tu nous adresses, à nous qui, nous attachant à leur doctrine, ne pouvons nier le péché originel; et si tu avais tant soit peu le sentiment de la pudeur, tu garderais le silence. Mais tu portes la calomnie jusqu'à dire que, dans un autre endroit, j'ai déclaré expressément que l'homme ne peut être purifié de ses péchés ; tandis que, en réalité, je lui attribue non-seulement ce pouvoir, ruais encore la faculté de parvenir à un état où il jouira du bonheur suprême de ne pouvoir plus pécher.
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Matt. VI, 12.
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I Jean, I, 8.
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Jean, XV, 5.
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Act. X.
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Id. VIII.
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Ps. XXXV, 7.
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Rom. XI, 6.