23.
Jul. Voici, en effet, comment il s'était exprimé dans son Evangile : « Le monde a été fait par Lui et le monde ne l'a point connu[^1] »: or, sans aucun doute, il ne voulait pas faire entendre par là que les éléments privés d'intelligence avaient pu connaître Jésus-Christ, ou le renier ; mais, dans sa pensée, le mot de monde s'appliquait à la multitude sans nombre des infidèles. De même donc, dans le texte précité, il enseigne que tout ce qui est dans le monde, c'est-à-dire tous les hommes qui sont tellement attachés aux plaisirs grossiers que, à leurs yeux, l'éclat extérieur du pouvoir et les trésors de l'opulence sont la mesure unique de la félicité des créatures raisonnables ; il enseigne, dis-je, que tous ces hommes, à quelque nation qu'ils appartiennent, sont les tristes victimes d'un orgueil odieux qui ne vient point de Dieu, en d'autres termes, qui n'est point agréable à Dieu, mais qui vient du monde et qui a son origine dans la perversité de la volonté humaine. C'est pourquoi, ajoute-t-il, ce monde ne doit point vous corrompre en excitant dans vos âmes un sentiment de jalousie : car quiconque accomplit la volonté de Dieu, entre en possession d'un bonheur éternel, et il ne s'évanouit point comme les choses présentes qui ne sont qu'une ombre. Ainsi, l'apôtre saint Jean veut que le monde soit pour nous un objet de haine, de même que le Seigneur a déclaré dans l'Evangile que nous devons haïr, non-seulement notre corps, mais notre âme elle-même : « Celui », dit-il , « qui ne hait pas a son père, ou son frère, ou même sa propre vie, n'est pas digne de moi[^2] » ; quoique assurément les fidèles ne puissent se haïr eux-mêmes, puisque, par un sentiment d'amour très-légitime pour leurs âmes, ils affrontent la douleur et des épreuves de toutes sortes, afin de parvenir à la possession du bonheur. Quelle est donc la conclusion de cette discussion? C'est que, suivant l'usage de l'Ecriture, l'apôtre saint Jean a flétri sous le nom de monde, non pas la nature des êtres créés, mais les penchants dépravés de la volonté humaine ; et par là même il a nié que la concupiscence de la chair vienne de Dieu, dans le même sens qu'il a déclaré que rien de ce qui est dans le monde ne vient de Dieu. Manès s'empare de ces paroles, non pas pour les interpréter conformément à la pensée de l'Apôtre, mais pour les dénaturer avec cette habile perfidie qui lui est ordinaire, et il en conclut hautement que ni la concupiscence de la chair, ni la chair elle-même, ni rien enfin de ce qui est dans le monde n'a été créé par Dieu : et toi-même, docile aux leçons d'un tel maître, tu crois que la concupiscence de la chair est l'oeuvre, non pas de Dieu, mais du démon.
Aug. Je qualifie de mauvaise cette concupiscence de la chair que saint Jean déclare ne pas venir du Père, et à laquelle Ambroise affirme que notre nature est assujettie par suite de la prévarication du premier horaire[^3] ; le même Apôtre, voulant parce mot de concupiscence désigner les hommes qui en sont les tristes esclaves, ajoute qu'elle vient du monde. Manès, lui aussi, qualifie de mauvaise cette concupiscence de la chair; mais il ne sait pas d'où elle vient: toi, au contraire, tu la déclares bonne, précisément parce que tu ne sais pas non plus d'où elle vient ; et par le fait seul que tu refuses de lui reconnaître l'origine qui lui est attribuée par Ambroise, tu autorises Manès à croire que lui-même parle réellement le langage de la vérité, quand il enseigne qu'elle est l'oeuvre de cette nature mauvaise rêvée par lui comme existant de toute éternité aussi bien que Dieu. Afin donc de réfuter à la fois et Manès et toi-même, l'évêque Ambroise expose le vrai sens des paroles de l'apôtre saint Jean. Car, ce dont notre nature a été infectée par suite de la prévarication du premier homme, ne saurait évidemment être un mal éternel comme Dieu ; que Manès donc se taise : et cependant cette chose est un mal réel; que Julien se taise donc, lui aussi.
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Jean, I, 10.
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Luc, XIV, 26.
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Liv. VII sur saint Luc, XII.