11. La concupiscence de la chair ne peut être éteinte que par la destruction de tous les vices.
Il est impossible d'éteindre entièrement les ardeurs de la concupiscence, avant d'avoir aussi coupé les racines des autres vices. Nous espérons, avec le secours de Dieu, traiter de chaque vice en particulier dans des livres séparés ; nous nous proposons de parler dans celui-ci de la gourmandise, que nous avons d'abord à combattre. Qui pourrait jamais repousser les traits enflammés de la concupiscence s'il ne savait réprimer les désirs de la gourmandise? C'est par là qu'on juge de la pureté de l'homme intérieur. Comment espérer résister à un ennemi plus puissant, lorsqu'on ne peut triompher d'un plus faible dans des combats moins dangereux?
Toutes les vertus, malgré leurs noms et leurs caractères différents, ont une même nature, comme la substance de l'or reste la même, quels que soient le nombre et la variété des ouvrages auxquels le talent de l'orfèvre l'emploie. Aussi celui qui pèche contre une de ces vertus n'en possède aucune parfaitement. Comment croire qu'un homme a éteint les ardeurs de la concupiscence, qui viennent autant des penchants du corps que du dérèglement de l'âme , lorsqu'il ne peut calmer les mouvements de la colère qui bouleversent son coeur? Comment penser qu'il réprimera les tentations de la chair, lorsqu'il ne sait pas même triompher de l'orgueil? Comment s'imaginer qu'il foulera aux pieds les désirs coupables qui naissent en nous, lorsqu'il ne peut se détacher de l'amour des richesses qui est cependant étranger à notre nature? Comment vaincre dans cette guerre acharnée de nos sens , lorsqu'il ne peut pas même guérir sa tristesse ? Une ville a beau être défendue par de hautes murailles et par des portes solides; il suffit d'une petite entrée, livrée par trahison, pour la perdre. Qu'importe à l'ennemi d'y pénétrer par les murailles et les portes toutes grandes ouvertes, ou par un souterrain, pourvu qu'il s'en rende maître!