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Ayant demeuré là deux ans dans une continuelle pensée de s'enfuir, il envoya Hesychius en Palestine, avec ordre de retourner au printemps pour y visiter ses frères et voir les reliques de son monastère. Après son retour il désira d'aller encore en Egypte pour demeurer dans ces lieux que l'on nomme Bucolia, à cause qu'il n'y a pas un seul chrétien et qu'ils sont seulement habités par une nation barbare et farouche ; mais Hesychius lui conseilla de se retirer plutôt dans le lieu le plus écarté de l'île où ils étaient; et, ayant pour cela tout visité avec beaucoup de temps et de soin, il le mena, à douze milles de la mer, dans des montagnes fort reculées et très rudes, où l'on pouvait à peine monter en se traînant sur les mains et sur les genoux. Saint Hilarion, y étant arrivé et considérant ce lieu caché et si effroyable, vit qu'il était environné d'arbres de tous côtés, qu'il y avait des eaux coulantes, un petit jardin fort agréable et plusieurs arbres fruitiers dont il ne mangea néanmoins jamais de fruit, et que proche de là était un très ancien temple tout ruiné, d'où, à ce qu'il disait et comme ses disciples le témoignent, on entendait retentir nuit et jour les voix d'une si incroyable multitude de démons qu'il semblait que ce fussent celles de toute une armée; ce qui lui donna beaucoup de ,joie, voyant par là qu'il aurait si près de lui des ennemis à combattre. Il y demeura cinq années, Hesychius l'allant souvent visiter; et ce ne lui fut pas une petite consolation dans ce dernier temps de sa vie de ce que, à cause de l'extrême difficulté d'un chemin si rude et de tant d'ombrages qui le couvraient, il n'y avait que peu ou point de personnes qui pussent ou qui osassent entreprendre de monter cette montagne.
Un soir, au sortir de son petit jardin, il vit un homme paralytique de tout le. corps couché par terre devant la porte; sur quoi, ayant demandé à Hesychius qui il était et comment il avait été amené là, il lui répondit qu'il avait été receveur de cette petite métairie et que le jardinet où ils étaient lui appartenait. Alors le saint se mit à pleurer, et, tendant la main à ce pauvre malade, lui dit : « Je te commande, au nom de Jésus-Christ, de te lever et de marcher. » O admirable promptitude! il n'avait pas encore achevé de prononcer ces paroles que, toutes les parties du corps de cet homme étant déjà fortifiés, il se trouva en état de se pouvoir lever et de se tenir debout. Ce miracle ayant été su, plusieurs personnes, par le besoin qu'elles avaient de l'assistance du saint, surmontèrent la difficulté d'aller vers lui par ces chemins inaccessibles; et tous les habitants d'alentour ne travaillaient à rien avec. tant de soin qu'à prendre garde qu'il ne s'échappât ; car le bruit s'était répandu parmi eux qu'il lie pouvait demeurer longtemps en un même lieu; ce qu'il ne faisait ni par légèreté ni par une impatience et une inquiétude puériles, mais à cause qu'il fuyait l'honneur et l'importunité des visites, ayant toujours aimé le silence et une vie inconnue aux hommes.