XI.
L'ordre de mon sujet m'oblige maintenant à parler des parties qui, ayant dû être cachées, ne sont point du tout recommandables par leur beauté, mais le sont extrêmement par leur usage, puisqu'elles doivent recevoir le suc qui se forme de tout ce que l'on boit et de ce que l'on mange, et qui nourrit notre corps, de la même sorte que les pluies nourrissent la terre. La sage providence du créateur a placé l'estomac au milieu du corps, afin qu'il reçût les aliments, qu'il les digérât et les distribuât à tous les membres. L'homme étant composé de corps et d'âme, l'estomac ne fournit des aliments qu'au corps; car, pour ce qui est des besoins de l'âme, Dieu y a pourvu en faisant le poumon d'une substance molle et raréfiée, propre à recevoir l'air et à le renvoyer. Il ne l'a pas fait d'une consistance aussi solide que l'estomac, de peur qu'il ne se remplit tout d'un coup d'air, ou qu'il ne se vidât tout d'un coup ; mais il l'a fait d'une nature spongieuse, afin qu'il s'en remplit et s'en vidât peu à peu, et que, par une respiration continuelle, il conservât la vie. Ainsi le poumon reçoit l'air pour en nourrir l'âme, comme l'estomac reçoit les viandes pour en nourrir le corps. Il y a deux canaux qui passent par le cou, dont l'un sort de l'estomac et monte à la bouche, et l'autre sort du poumon et monte au nez. Il y a entre eux celte différence que, au lieu que celui qui porte les viandes de la bouche à l'estomac est toujours fermé comme la bouche même, parce que les viandes retendent par leur poids et l'ouvrent quand il est besoin; l'autre est toujours ouvert, parce que l'air, qui y entre et qui en sort incessamment, est trop délié et trop subtil pour l'ouvrir. L'air entre et sort ainsi continuellement, parce que l'on ne saurait cesser un moment de respirer. Mais, de peur que l'air n'entrât avec une trop grande violence et qu'il ne portât la corruption, il est arrêté par une pellicule que l'on appelle le gavion. C'est pour la même raison que les ouvertures du nez sont assez étroites. Quelques-uns croient que le nom de nares que les Latins leur on t donné vient de ce qu'elles sont destinées à aspirer (nare) sans cesse l'air et les odeurs. Il est vrai pourtant que ce canal ne se termine pas seulement au nez, mais qu'il a aussi communication à la bouche par le fond du palais, et à l'endroit où le gavion s'élève dans le gosier. La raison en est évidente, car si le canal qui conduit l'air au poumon ne montait qu'au nez, comme celui qui conduit les viandes à l'estomac ne monte qu'à la bouche, nous n'aurions pas l'usage de la parole. Il a fallu que la divine providence ouvrit par ce canal un passage à la voix, sans lequel la langue n'aurait pu la former ni l'articuler par la diversité de ses mouvements. Quand ce passage est bouché, on est réduit au silence, et c'est une erreur de croire qu'on puisse devenir muet par une autre cause. Les muets n'ont point de fil qui leur tienne la langue attachée, comme le peuple se l'imagine, mais le passage par où l'air devrait se communiquer à la bouche, est fermé chez eux, ce qui est cause qu'ils ne poussent cet air-là en dehors que par le nez, et en faisant un bruit qui a du rapport avec le mugissement. Ce passage est quelquefois bouché par un défaut de nature, et quelquefois par un accident de maladie, et ceux auxquels ce malheur arrive perdent l'ouïe aussi bien que la parole. Ce canal a encore un autre usage dans le bain, qui est de recevoir par la bouche un air fort échauffé que l'on ne saurait recevoir que par le nez. De plus, quand les conduits du nez sont bouchés par une pituite épaissie qui est tombée du cerveau, on respire par la bouche, sans quoi on serait en danger d'étouffer. Lorsque les viandes ont été digérées par la chaleur, elles se changent en un suc qui se répand dans tous les membres, et en répare la force et la vigueur. Les intestins, qui se replient sur eux-mêmes par tant de tours et de détours, sont un ouvrage digne d'admiration. Car, lorsque les viandes ont été digérées par l'estomac, leur suc passe par les intestins pour se distribuer ensuite dans toutes les parties. Mais parce que la sinuosité des intestins aurait pu le retenir, ce qui aurait été très dangereux, ils sont frottés au dedans d'une humeur épaisse qui facilite le passage à tout ce qu'ils contiennent. Je remarquerai encore ici une chose dans la structure de notre corps, à laquelle Dieu a pourvu avec une admirable sagesse. C’est que, encore que la vessie, qui n'est d'aucun usage dans les oiseau, n'ait aucun canal par où elle communique avec les intestins, elle ne laisse pas de se remplir de l'eau qu'elle en tire. Il n'est pas malaisé de connaître comment cela se fait. Les intestins, qui reçoivent le suc des viandes quand il sort de l'estomac, sont plus larges et plus déliés que les autres. Ces mêmes intestins embrassent et enveloppent en quelque sorte la vessie, et lui envoient toute l'eau, dont elle se décharge par le conduit que la nature a destiné à cet effet, et cependant les matières plus grossières passent en bas et sortent du corps.