Septième question.
En quel sens doit-on prendre ce passage de l'épître aux Romains : « Et certes, à peine quelqu'un voudrait-il mourir pour un homme juste; peut-être néanmoins qu'il s'en pourrait trouver un qui voudrait bien donner sa vie pour un homme dont la vertu lui serait connue?»
Deux hérétiques également impies, quoique engagés dans différentes erreurs, ont pris occasion de ce passage pour blasphémer ce qu'ils ne pouvaient comprendre ; car Marcion admet deux Dieux, l'un juste, et l'autre bon. Il fait le Dieu juste auteur de la loi et des prophètes, et il attribue au Dieu bon, dont il dit que Jésus-Christ est le fils, les Evangiles et les Epîtres des apôtres. Or il prétend qu'il n'y a personne, ou du moins qu'il s'en trouve très peu qui aient souffert la mort pour le Dieu juste; mais qu'une infinité de martyrs ont répandu leur sang pour le Dieu bon; c’est-à-dire pour Jésus-Christ. Arius, au contraire, attribue à Jésus-Christ le nom de « juste, » selon ce qui est écrit dans les psaumes : « O Dieu! donnez au roi la droiture de vos jugements, et au fils du roi la lumière de votre justice, » et selon ce que Jésus-Christ lui-même dit dans l'Évangile : « Le Père ne juge personne, mais il a donné tout. pouvoir de juger au Fils; » et derechef : « Je juge selon ce que j'entends; » et il attribue au Père la qualité de «bon, » conformément à ce que Jésus-Christ dit dans l'Evangile : « Pourquoi m'appelez-vous bon ? Il n'y a que Dieu le Père seul qui soit bon. » Jusqu'ici cet hérésiarque trouve de quoi se sauver et soutenir son impiété; mais dans la suite il ne fait que broncher, et ne rencontre que des précipices; car comment peut-on dire que quelqu'un peut-être voudra bien donner sa vie pour le Père, et qu'à peine en trouvera-t-on qui veuille mourir pour le Fils, puisque tant de martyrs ont répandu leur sang pour le nom de Jésus-Christ?
Si fon veut donc expliquer ce passage dans un sens simple et naturel, l'on peut dire que dans l’ancienne loi, qui exerçait envers les pécheurs une justice sévère et rigoureuse, à peine s'est-il trouvé quelqu'un qui ait répandu son sang, au lieu que la nouvelle alliance , qui n'inspire que la douceur et la miséricorde, a produit une infinité de martyrs. Mais comme l'apôtre saint Paul parle d'une manière douteuse en disant que « l'on pourrait trouver peut-être quelqu'un qui voulût bien mourir, » et que de là l’on peut conclure qu'il n'y en a que fort peu qui soient dans la disposition de sacrifier leur vie pour les intérêts de l’Evangile , il faut nécessairement donner un autre sens à ce passage, et l'expliquer par rapport à ce qui précède et à ce qui suit.
Saint Paul dit qu'il « se glorifie dans les afflictions, parce que l’affliction produit la patience, la patience l’épreuve, et l’épreuve l’espérance, et que cette espérance ne nous trompe point, » fondée qu'elle est sur ce que « l'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné, » selon ce que Dieu avait dit par un prophète : « Je répandrai mon esprit sur toute chair. » De là cet apôtre prend sujet d'admirer la bonté de Jésus-Christ, qui a bien voulu mourir pour des impies et des pécheurs comme nous, qui étions encore dans les langueurs du péché, et mourir dans le temps que Dieu avait marqué, selon ce qu'il dit lui-même : « Je vous ai exaucé au temps favorable, je vous aide au jour du salut; » et derechef : «Voici maintenant le temps favorable, voici maintenant le jour du salut ; » dans un temps où tous les hommes s'étaient corrompus et détournés du droit chemin, et où il n'y en avait pas un seul qui fît le bien. Il n'y a donc qu'une bonté infinie et une miséricorde incompréhensible qui aient pu le porter à donner sa vie pour des impies; car la mort a quelque chose de si affreux et de si terrible qu'à peine peut-on trouver quelqu'un qui veuille bien mourir pour un homme juste et dont la vertu lui est connue, quoiqu'il s'en puisse quelquefois rencontrer qui voudront bien donner leur vie pour une chose bonne et juste. Or la marque la plus sensible que Dieu ait pu nous donner de son amour envers les hommes, c'est que dans le temps même que nous étions encore pécheurs Jésus-Christ est mort pour nous, sacrifiant sa vie sur la croix, se laissant conduire au supplice pour les iniquités de son peuple, se chargeant de nos péchés, se livrant volontairement à la mort, et souffrant qu'on le mît au nombre des scélérats, afin de nous rendre ;justes, forts et vertueux, de faibles, d'impies et de pécheurs que nous étions.
Quelques-uns expliquent ce passage de cette manière : Si Jésus-Christ est mort pour nous dans le temps que nous étions encore impies et pécheurs, avec quel zèle et quel empressement ne devons-nous pas donner notre vie pour Jésus-Christ, qui est «bon » et «juste » tout ensemble! Au reste il ne faut pas s'imaginer qu'il y ait de la différence entre « bon » et « juste,» et que par ces deux mots l'apôtre saint Paul ait voulu marquer quelque personne en particulier; ils signifient simplement: une chose bonne et juste, pour laquelle il est assez difficile de trouver quelqu'un qui veuille répandre son sang, quoiqu'on en puisse quelquefois rencontrer d'assez généreux pour le faire.