V. 9
« Et l'amandier fleurira, et la sauterelle s'engraissera, et les câpres se dissiperont, parce que l'homme s'en ira dans la maison de son éternité et qu'on marchera en pleurant autour des rues. » L'Ecclésiaste continue à parler encore métaphoriquement des membres du corps humain. Il dit donc que quand l'homme sera devenu fort vieux ses cheveux seront tout planes; que ses pieds chancelleront et seront tout tremblants; que le feu de la concupiscence n'aura plus en lui aucune force, et qu'enfin l'âme sera séparée tin corps par la violence de la mort ; que ce corps sera mis dans sa demeure éternelle, et qu'il retournera en terre d'où il avait été pris; que cela se fera après qu'on lui aura rendu les honneurs des funérailles, et qu'on aura vu une grande multitude de peuple marcher devant lui vers le lieu de sa sépulture.
Quelques-uns prétendent que l'amandier avec ses fleurs, que nous croyons signifier : les cheveux blancs, se doit entendre de l'épine sacrée du dos, parce que les chairs de derrière étant toutes desséchées dans les vieillards, cette épine parait élevée comme les fleurs qui sortent du bois des arbres.
Pour ce qui est de ces mots figurés : « la sauterelle s'engraissera,» ils souffrent diverses explications; car il ne faut pas ignorer que le mot hébreu qu'on a traduit par locusta, « sauterelle,» peut aussi signifier le « talon ; » ce qui vient de l'ambiguïté des mots hébreux, dont la signification dépend souvent de la variété des accents. Nous en voyons un bel exemple dans le premier chapitre de Jérémie, où le mot hébreu sored peut signifier : une noix, ou bien : les veilles de la nuit, selon la différence des accents qu'on donne à ce mot en le prononçant. Dieu donc, dit à Jérémie : «Que voyez-vous, Jérémie? » Le prophète répond : «Je vois une baguette de noyer. » Le Seigneur répliqua : « Vous avez, dit vrai, car je veillerai sur ma parole afin que telle ou telle chose ait son accomplissement. »
D'abord le mot soced signifie, selon son étymologie : un noyer; mais Dieu prend occasion de ce terme pour dire qu'il « veillera, » et qu'il punira le peuple juif comme il le mérite; parce que le même mot dont Jérémie s'était servi signifie non-seulement : noix, ou : noyer, mais aussi : veille, ou: veiller. Il en est de même du mot hébreu aagab, qui est ambigu dans sa signification, et qui en cet endroit marque : les jambes des vieillards, qui sont ordinairement enflées et accablées de gouttes, grosses et pesantes. Ce n'est pas qu'if n'y ait des personnes âgées qui ne ressentent pas ces incommodités, mais l'Écriture parle en général de la vieillesse et de ce qui arrive à plusieurs vieillards.
« Les câpres se dissiperont;» c'est-à-dire, selon notre traduction du mot hébreu abiona, qui est aussi ambigu comme les précédents, que les désirs de l'intempérance, figurés par cet arbrisseau, se dissiperont et se refroidiront dans un corps usé de vieillesse et qui n'a plus l'usage de ses membres ; car abiona chez les Hébreux signifie : amour, désir, concupiscence, ou : câpres et câprier. C'est pourquoi on a traduit tous ces termes ambigus dont nous avons parlé par: « amandier, sauterelle» et « câprier», quoique, les rapportant à d'autres sujets, ils puissent avoir un autre sens. Ici on les emploie figurément pour marquer la faiblesse des membres dans les corps des personnes les plus âgées. Et per figuram ad sensus qui seni conveniunt, derivantur.
Il faut enfin remarquer que le mot hébreu soced de ce verset est le même qui se lit dans le commencement de la prophétie de Jérémie, mais qu'on la traduit au commencement de Jérémie par : noyer, au lieu qu'ici les Septante l'ont tourné par : amandier. Symmaque nous a donné une version fort différente des autres, et je ne sais à quoi il pensait quand il a dit
« Outre cela l'on regardera même d'en haut, et il y aura des égarements dans le chemin : ceux qui veillent s'endormiront, et la force de l'esprit sera dissipée; car l'homme s'en ira dans la maison de son éternité, et l'on marchera en pleurant autour des rues. » Apollinaire de Laodicée a suivi cette interprétation, et cela est cause qu'il n'a pu être approuvé ni des Juifs ni des chrétiens; car en s'éloignant du texte hébreu il a déplu aux Juifs, et en témoignant du mépris pour la version des Septante il a perdu l'estime des Eglises de Jésus-Christ.
V. 10, 11 et 12. «Avant que la chaîne d'argent soit rompue, que la bandelette d'or se retire, que la cruche se brise sur la fontaine et que la roue se rompe sur la citerne; que la poussière rentre en la terre d'où elle avait été tiré( et que l'esprit retourne à Dieu qui l'avait donné. Vanité des vanités, dit l'Ecclésiaste, tout est vanité. » Il remonte à ce qu'il avait dit auparavant, et après une grande transposition qu'il a l'ait commencer à ce verset : « Souvenez-vous de votre Créateur pendant les jours de votre jeunesse, avant que le temps de l'affliction soit arrivé et avant que le soleil et la lune s'obscurcissent,» et le reste jusqu'à ces mots: « Lorsque les gardes de la maison commenceront à trembler,» il reprend le fil de son discours et; l'achève par les mêmes expressions: «Avant que la chaîne d'argent soit rompue, » et qu'il arrive telle et telle chose. Or «la chaîne d'argent. est la figure de la vie dont nous jouissons sur la terre, parce que c'est une chose précieuse et toute éclatante comme le pur argent. « La bandelette d'or» qui « se retire » marque l'action de notre âme qui se sépare du corps et qui s'en retourne à Dieu, d'où elle était descendue. Ce qui suit : « Avant que la cruche se brise sur la fontaine et que la roue se rompe sur la citerne, » sont deux expressions figurées et des images de la mort; car comme, la cruche étant brisée sur la fontaine et la roue sur la citerne ou sur le puits, l'une et l'autre demeurent inutiles et ne peuvent plus tirer d'eau, ainsi, lorsque cette chaîne d'argent dont il a été parlé auparavant vient à se rompre, l'homme cesse d'être et de vivre sur la terre, par la séparation de l'âme d'avec le corps; ce qui devient encore plus clair par. ces paroles suivantes : « Avant que la poussière rentre en la terre d'où elle avait été tirée, et que l'esprit retourne à Dieu qui l'avait donné. » Sur quoi nous devons remarquer les opinions ridicules de ceux qui s'imaginent que l'âme n'a point d'autre principe que le corps, et que ce n'est pas Dieu qui l'a créée, mais les parents qui l'engendrent; car puisqu'il est vrai, par le témoignage de l'Écriture, que la chair rentre en la terre d'où elle avait été tirée et que l'esprit retourne à Dieu qui l'avait donné, il résulte manifestement que Dieu est le père des âmes et des esprits, et non pas les hommes, qui sont les pères du corps.
Après la peinture qu'il a faite de la mort de tous les hommes en général, il reprend les premières paroles de son livre, et finit par où il avait commencé, en disant : « Vanité des vanités; tout est vanité. » En effet, rien n'est plus vain et plus inutile que de travailler tous les jours de sa vie pour des choses périssables et passagères, et de négliger les biens éternels, qui sont les seuls véritables et propres à faire pour jamais le bonheur et la félicité des hommes, qui ne peuvent pas ignorer que le jour de la mort est le terme de toutes choses, et le commencement des récompenses de l'homme juste ou des châtiments et des peines des impies. Magnae vanitatis est in hoc saeculo laborare, et nihil profutura conquirere.