CHAPITRE XII. Honneurs tout extraordinaires rendus à sainte Paula en ses funérailles.
On n'entendait point alors de cris ni de plaintes ainsi qu'on a coutume parmi les personnes attachées au siècle, mais des troupes tout entières faisaient retentir des psaumes en diverses langues. Elle fut portée en terre par des évêques qui mirent son cercueil sur leurs épaules; d'autres évêques allaient des devant avec des flambeaux et des cierges allumés, et d'autres conduisaient les troupes de ceux qui chantaient des psaumes. En cet état elle fut mise dans le milieu de l'église de la crèche de notre Sauveur. Les habitants de toutes les villes de la Palestine vinrent en foule à ses funérailles; il n'y eut point de cellule qui pût retenir les solitaires les plus cachés dans le désert, ni de sainte vierge qui pût demeurer dans sa petite chambrette, parce qu'ils eussent tous cru faire un sacrilège s'ils eussent manqué de rendre leurs devoirs à une femme si extraordinaire. Les veuves et les pauvres, ainsi qu'il est dit de Dorcas, montraient les habits qu'elle leur avait donnés, et. tous les nécessiteux criaient qu'ils avaient perdu leur mère et leur nourrice. Mais ce qui est admirable, la pâleur de la mort n'avait point changé son visage, et il était si plein de majesté qu'on l'aurait plutôt crue endormie que morte. On récitait par ordre des psaumes en hébreu, en grec, en latin et en syriaque, non-seulement durant trois jours et jusques à ce que son corps eut été enterré sous l'église, tout contre la crèche de notre Seigneur, mais aussi durant toute la semaine. Tous ceux qui arrivaient considéraient ses funérailles comme les leurs propres, et la pleuraient comme ils se seraient pleurés eux-mêmes. Sa sainte fille Eustochia, qui se voyait comme sevrée de sa mère, selon le langage de l'Ecriture, ne pouvait souffrir qu'on la séparât d'avec elle : elle lui baisait les yeux, elle se collait à son visage, elle l’embrassait, et elle eût désiré d'être ensevelie avec sa mère.
Jésus-Christ sait que cette femme si excellente ne laissa pas un écu vaillant à sa fille, mais qu'au contraire, comme je l'ai déjà dit, elle la laissa chargée de beaucoup de dettes et d'un nombre infini de solitaires et de vierges qu'il lui était très difficile de nourrir, et. qu'elle n'eût pu abandonner sans impiété. Qu'y a-t-il donc de plus admirable que de voir une personne d'une maison aussi illustre qu'était Paula, et qui avait été autrefois dans de si grandes richesses, avoir eu tant de vertu et tant de foi que de donner tout son bien, et de s'être ainsi trouvée quasi réduite à la dernière extrémité? Que d'autres vantent l'argent qu'ils donnent aux, églises et ces lampes d'or qu'ils consacrent à Dieu devant ses autels, nul n'a plus donné aux pauvres que celle qui ne s'est rien réservé pour elle-même. Maintenant, elle jouit de ces richesses et de ces biens que nul oeil n'a jamais vus, que nulle oreille n'a jamais entendus et que nul esprit humain n'a jamais pensés. C'est donc nous-mêmes que nous plaignons ; et. il y aurait sujet d'estimer que nous envierions sa gloire si nous pleurions plus longtemps celle qui règne avec Dieu dans l'éternité.