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N'est-il pas absurde, quand nous avons soin d'envoyer nos enfants à l'école, de les mettre en apprentissage, quand nous ne négligeons rien pour cela, de ne pas les élever dans la discipline et la correction du Seigneur? Aussi sommes-nous les premiers à recueillir les fruits de cette éducation, et nous avons des fils présomptueux, intempérants, indociles, grossiers. Croyez-moi, procédons autrement, et, suivant l'avis de l'apôtre, instruisons-les dans la science du Seigneur. Donnons-leur l'exemple, et que, dès l'âge le plus tendre, ils lisent, ils étudient les divines Ecritures. Hélas ! à force de vous répéter cela, je vous parais radoter. N'importe, je ne cesserai d'accomplir mon œuvre. Pour quelle raison, dites-moi, n'imitez-vous pas les anciens ? Vous surtout, femmes,'imitez les femmes admirables de ce temps. Vous avez mis au jour un enfant? Suivez l'exemple d'Anne : Voyez ce qu'elle fit tout d'abord : elle le conduisit au temple. Qui , de vous ne préférerait pas mille fois à une domination exercée sur le monde entier le bonheur d'avoir en son fils un second Samuel? Et comment faire, dira-t-on, pour le rendre tel ? Pourquoi serait-ce impossible? Le seul obstacle, c'est que vous ne le voulez pas, que vous ne le remettez pas en des mains capables d'en faire un autre Samuel. Et qui le pourrait ? direz-vous. Dieu : c'est à Dieu qu'Anne confia son fils. Car Héli lui-même n'était pas des plus aptes à cette éducation, puisqu'il ne put pas la donner à ses propres fils; mais ce qu'il n'avait pu faire, la foi d'une femme, son zèle, l'opéra. C'était son premier, son unique enfant, elle ignorait si elle en aurait d'autres. Pourtant, elle ne dit pas: J'attendrai que mon fils ait grandi, afin qu'il voie le monde; je le laisserai jouir des années de son enfance. Anne écarta toutes ces pensées, et ne songea qu'à une chose, à consacrer tout d'abord à Dieu cette offrande spirituelle.
Hommes, rougissons de trouver chez une femme tant de sagesse : elle offre son fils à Dieu, et le laisse dans le temple. Si son mariage lui valut tant de gloire, c'est qu'elle avait commencé par chercher les biens spirituels, c'est qu'elle avait offert ses prémices : voilà pourquoi son sein devint fécond, et lui donna d'autres enfants encore : voilà pourquoi elle vit Samuel illustre dans le monde même. Car si les hommes reconnaissent les hommages qu'on leur rend, ne doit-il pas en être ainsi de Dieu, à plus forte raison, lui qui fait du bien même à ceux qui le négligent? Jusques à quand serons-nous chair? jusques à quand vivrons-nous penchés vers la terre ? Faisons tout passer après les soins que nous devons à nos enfants, après l'éducation qu'il faut leur donner dans la discipline et la correction du Seigneur. Si nous leur apprenons tout d'abord la vraie sagesse, ce sera pour eux une fortune, une gloire qui effaceront les plus brillantes. Vous leur rendrez un moindre service en leur enseignant un métier ou les sciences profanes, qui les mettront en état de s'enrichir, qu'en leur enseignant l'art de mépriser les richesses. Si vous voulez qu'ils soient riches , prenez-vous-y de cette manière. Car le riche n'est pas celui qui a beaucoup de besoins et beaucoup de ressources, mais celui qui n'a besoin de rien. Voilà ce que vous devez enseigner à votre fils : nul trésor n'égale celui-là.
Ne visez pas à ce qu'il se signale dans les études profanes, mais occupez-vous de lui apprendre à mépriser la gloire du inonde vous le rendrez ainsi capable de s'illustrer. Riche ou pauvre, tout le monde peut en faire autant : ce n'est pas affaire d'école ni de doctrine, mais oeuvre de la divine parole. Ne visez pas à-ce que votre fils vive longuement ici-bas, mais à ce que là-haut- il vive éternellement. Assurez-lui les grands biens, sans vous inquiéter des petits. Ecoutez Paul qui vous dit : « Elevez-les dans la discipline et la correction du Seigneur ». Ne vous inquiétez pas d'en faire un orateur, mais faites-en un sage. On peut, sans inconvénient, n'être pas un orateur mais si l'on n'est pas un sage, à quoi bon toute la rhétorique du monde ? On a besoin de bonnes moeurs, et non de beau langage; de vertu, non d'éloquence; d'oeuvres, non de paroles. Voilà ce qui procure le royaume, voilà ce qui assure la possession des biens véritables. Au lieu d'aiguiser votre langue, purifiez votre âme. Ce n'est pas que je proscrive absolument ce genre d'études, mais il ne faut pas qu'on s'y adonne exclusivement. Ne vous figurez pas que les moines seuls aient besoin des leçons des Ecritures : il n'est rien qui soit plus nécessaire aux enfants qui vont entrer dans le monde. Si un vaisseau bien équipé, un bon pilote, des matelots sont utiles non à celui qui ne s'éloigne pas du port, mais à celui qui est toujours en mer: il en est de;même à l'égard du moine et du mondain. L'un est, pour ainsi dire, dans un port tranquille; il vit exempt des soucis de la vie, à l'abri de toutes les tempêtes. L'autre est constamment en mer, il passe son, existence au milieu des flots, en lutte avec les vagues : il faut qu'il soit prémuni quand bien même il n'aurait pas besoin de défense, ne fût-ce que pour fermer la bouche à autrui.
