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Voyez-vous que ce langage est celui de l'humilité, de la retenue? Déjà, en effet, il habitait le ciel : « Ma conscience ne me reproche rien » (I Cor. IV, 4), disait-il; et encore : « J'ai terminé ma carrière ». (Il Tim. IV, 7.) Ce n'est donc pas en cela que le diable l'entravait, mais en ce qui regardait ses disciples. Pourquoi? Parce que la domination du diable avait un complice dans leur propre libre arbitre. Sur ce terrain le diable était quelquefois vainqueur . mais plutôt ce n'est pas de Paul qu'il était vainqueur, c'est de l'apathie des tièdes. En effet, si Paul n'avait pas fait son devoir, par nonchalance où par toute autre raison, c'est lui qui aurait été vaincu : mais s'il ne négligeait tien et que seulement ses disciples fussent indociles , alors le diable triomphait non de Paul , mais de l'indocilité de ses disciples : ce n'est pas du médecin que la maladie avait raison , mais de la désobéissance du malade. Car, dès que le médecin a pourvu à tout, si le malade bouleverse tous ses arrangements ; c'est lui qui est le vaincu , et non pas le médecin. Ainsi le diable n'a jamais triomphé de Paul. D'ailleurs nous devons nous tenir heureux même de pouvoir lutter. A la vérité, tel n'est pas le souhait qu'il forme pour les Romains : il leur dit : « Il écrasera Satan sous vos pieds promptement ». (Rom. XVI, 20.) Quant aux Ephésiens, c'est le voeu qu'il exprime en leur faveur : « A celui qui est puissant pour tout a faire bien au-delà de ce que nous demandons ou concevons. ». (Eph. III , 20.) Celui qui lutte est encore en danger : d'ailleurs il doit se trouver heureux, s'il ne tombe pas. C'est quand nous aurons quitté ce monde, que nous jouirons du triomphe. Soit, par exemple, une passion mauvaise : la repousser loin de soi, l'éteindre, voilà qui est admirable mais si c'est une chose impossible, du moins luttons, résistons sans relâche : si nous sortons (lu monde, luttant encore, nous sommes vainqueurs. Car il n'en est pas de même ici que dans l'arène : là, si vous ne renversez pas votre adversaire, vous n'êtes pas vainqueur : ici, vous êtes vainqueur, si vous n'êtes pas renversé; si vous n'êtes pas jeté à bas, vous avez terrassé l'ennemi. Cela se conçoit deux athlètes aux prises luttent également pour la victoire ; et si l'un est renversé , l'autre est couronné. Il n'en est pas de même ici : le diable n'a en vue que notre défaite. Si donc je déjoue son projet, je triomphe : il ne vise pas à me renverser, mais à m'entraîner dans sa chute. Il est déjà vaincu , lui : car il a reçu le coup, il est perdu. Quant à sa victoire, elle ne consiste pas à gagner une couronne, mais à causer ma perte : de sorte que pour être victorieux il me suffit de rester debout sans le jeter à bas. Maintenant, la victoire sera éclatante , si , comme Paul , je le foule aux pieds tout à mon aise, comptant pour rien les choses présentes. Imitons ce saint: appliquons-nous à triompher du diable, et à ne lui donner aucune prise.
La richesse, l'argent, la vanité lui donnent prise : souvent elles le relèvent, souvent elles redoublent son impétuosité. Mais qu'est-il besoin de lutte et de combat? Celui qui lutte est dans l'incertitude du résultat : il ignore s'il ne sera pas vaincu et pris lui-même; mais celui qui foule aux pieds est assuré de la victoire. Foulons donc aux pieds la puissance du diable, foulons aux pieds les péchés, j'entends toutes les passions mondaines, colère, concupiscence, orgueil et le reste : afin que parvenus là-haut, nous ne soyons pas convaincus d'avoir laissé sans usage le pouvoir que Dieu nous a octroyé. Car c'est ainsi que nous obtiendrons les biens futurs. Mais si nous nous montrons indignes de cette prérogative, comment de plus grandes pourraient-elles nous être conférées? Si nous n'avons pas su fouler aux pieds l'ange rebelle , le déshonoré, le méprisé, comment notre Père nous mettrait-il en possession du patrimoine? Si nous n'avons pas su triompher d'un être placé si bas, quel titre aurons-nous à. entrer dans la maison paternelle? Dites-moi : Si vous aviez un fils, et que ce fils négligeât ceux de vos serviteurs (560) qui font leur devoir, pour se lier avec ceux qui font votre tourment, qui sont exclus de la maison paternelle, qui ne songent qu'à jouer aux dés, et qu'il se conduisît ainsi jusqu'au bout , ne le déshériteriez-vous pas? Vous le feriez sans nul doute. Eh bien ! nous aussi, si nous négligeons les anges agréables à Dieu et préposés à notre direction pour vivre avec le diable, nous ne pouvons manquer d'être déshérités.
Puisse-t-il ne nous arriver rien de pareil ! Puissions-nous, après avoir engagé la lutte avec lui et être demeurés vainqueurs avec l'assistance d'en-haut, hériter du royaume des cieux. Si quelqu'un de vous a un ennemi, si on lui a fait tort, s'il est emporté, qu'il ramasse toute cette colère, tout ce mécontentement pour le déverser sur la tête du diable. Voilà un noble courroux, une colère utile, un louable ressentiment ! Si la rancune est un mal quand elle provient d'une cause mondaine, ici elle est un mérite. Si donc vous avez des défauts et que vous ne puissiez vous en débarrasser autrement qu'avec vos membres, il faut les faire servir à cet usage. On vous a frappé? Gardez-en rancune au diable, et ne vous réconciliez jamais avec lui. Mais il ne vous a pas frappé? N'importe : gardez-lui rancune, parce qu'il a offensé votre Maître, parce qu'il l'a outragé , parce qu'il persécute vos frères et leur fait la guerre... Soyez toujours plein de haine, d'amertume, de fiel : par là vous le rendrez humble , facile à braver, facile à vaincre. — Si nous nous déchaînons contre lui, il nous ménagera ; si nous sommes indulgents, il sera féroce : n'allons pas le traiter comme nous devons traiter nos frères. C'est un adversaire, un ennemi acharné de notre vie, de notre salut et du sien. S'il ne s'aime pas lui-même, comment nous aimerait-il ? Tenez-lui donc tête, et harcelons-le, avec l'assistance toute puissante de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui saura bien nous garantir de ses piéges et nous admettre au partage des biens futur,, : desquels puissions-nous tous être investis, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui gloire, puissance, honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.
