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Aussi, je vous en conjure, faisons tout pour ne pas nous endormir. Ne voyez-vous pas les gardiens perdre souvent, pour avoir un peu cédé au sommeil, tout le fruit d'une longue veille ? cet instant si court de relâchement a tout gâté, parce qu'ils ont donné au voleur les moyens de faire son coup sans avoir rien à craindre. Eh bien donc, de même que nous ne voyons pas les voleurs comme ils nous voient, de même le démon nous presse avec la plus grande insistance, et il ne cessé de grincer des dents. Donc gardons-nous bien de nous endormir, et ne disons pas : Rien à craindre par ici, rien à craindre par là. Souvent c'est par l'ennemi que nous n'attendions pas, que nous sommes dépouillés. Il en est de même du péché ; ce que nous n'attendions pas nous perd. Regardons avec soin tout autour de nous; ne nous enivrons pas, et nous ne succomberons pas au sommeil ; ne nous plongeons pas dans les plaisirs, et nous ne nous endormirons pas; ne laissons pas notre raison se troubler aux choses du dehors, et nous passerons notre vie tout entière dans la continence. Sachons nous régler nous-mêmes par tous les moyens. De même que ceux qui marchent sur une corde tendue, ne doivent pas avoir le moindre moment de distraction, si court qu'il soit, car cette petite distraction produit un grand malheur, on perd l'équilibre, on tombe, on se tue; de même nous ne pouvons pas nous relâcher. Nous marchons en suivant une voie étroite, bordée des deux côtés de précipices, où les deux pieds ne peuvent se poser à la fois. Voyez-vous combien il est nécessaire que nous soutenions notre attention? Ne voyez-vous pas comme les voyageurs qui s'avancent entre deux précipices, assurent non-seulement leurs pieds, mais leurs yeux ? Car s'ils se trompent pour la direction, quoique leurs pieds tiennent ferme, le vertige qui trouble leurs yeux les fait tomber dans l'abîme. Il faut veiller sur soi-même et veiller sur sa marche ; de là ce que dit l'apôtre : Ni à droite, ni à gauche. L'abîme de la perversité est profond, les précipices en sont vastes; en bas d'épaisses ténèbres, et la voie est étroite; ayons donc une attention pleine de crainte, et marchons avec tremblement. Aucun de ceux qui entreprennent cette route ne se laisse aller à un rire dissolu, ni ne souffre que (232) l'ivresse l'appesantisse, c'est dans la sobriété qu'il se maintient, c'est avec attention qu'il s'avance pour faire une telle route; ceux qui entreprennent cette route, ne se laissent pas distraire par des choses inutiles; car c'est beaucoup que de pouvoir, même étant bien équipé, la parcourir jusqu'au bout ; nul ne. s'y engage d'un pied embarrassé, on s'arrange de manière à être libre dans sa marche.
Mais nous qui nous créons mille liens, mille entraves, avec les soucis qui nous tourmentent, nous qui nous chargeons de mille fardeaux, qui faisons des préoccupations de la vie présente des poids si lourds à porter, qui sommes toujours la bouche béante, les yeux grands, ouverts, incapables de nous contenir, comment pouvons-nous espérer d'aller sans accident jusqu'au terme de cette route étroite? Le Seigneur n'a pas dit seulement: Cette route est étroite; mais il a fait entendre une exclamation : « Combien la route est étroite ! » (Matth. VII, 14.) Ce qui veut dire, qu'elle est des plus étroites. C'est ce que nous faisons nous-mêmes toutes les fois que nous sommes saisis d'un grand étonnement. Et le Seigneur dit encore : « Elle est resserrée, la route qui conduit à la vie ». (Ibid.} Et c'est avec raison que le Seigneur l'appelle étroite, resserrée. Si nous devons rendre compte, et de nos paroles, et de nos pensées, et de nos actions, et de toute notre conduite, réellement la route est étroite. Mais maintenant nous la rendons plus étroite encore par notre manière de nous étendre, de nous dilater, d'écarter les jambes. Car la route étroite est difficile pour tout le monde, mais elle l'est surtout pour l'embonpoint, pour l'obésité; celui que les mortifications amaigrissent, ne s'aperçoit pas que la route est étroite ; celui qui s'afflige et se comprime de lui-même, ne s'attristera pas des afflictions.
Donc que personne ne s'attende à mériter; par son indolence, de voir le ciel; c'est impossible. Que personne n'espère trouver les plaisirs de la vie molle et délicate, en suivant la route resserrée ; c'est impossible. Que personne n'espère, en suivant la route, large et commode, arriver à la vie.