3.
L. R. Je te prie maintenant de répondre à cette question : Crois-tu que c'est l'âme qui sent ou le corps? — A. Je crois que c'est l'âme. — L. R. Est-ce que l'intelligence te semble appartenir à l'âme ? — A. Cela me paraît ainsi. — L. R. A l'âme seule ou à quelqu'autre substance? — A. Dieu excepté, l'âme seule me paraît intelligente. — L. R. Examinons maintenant la question suivante : Si quelqu'un te disait que ce mur n'est pas un mur, mais un arbre, qu'en penserais-tu? — A. Je croirais que ses sens ou les miens se trompent, ou bien qu'il appelle arbre ce que j'appelle un mur. — L. R. Et si ce mur lui apparaît sous l’image d'un arbre et à toi sous l'image d'un mur, ces deux apparences ne pourront-elles pas être vraies?— A. Nullement, car une seule et même chose ne saurait être à la fois un arbre et un mur; et quoique la même chose paraisse différente à tous les deux, il est néces. s aire qu'un de nous soit trompé par une fausse apparence. — L. R. Mais si ce n'était ni un mur, ni un arbre, et que vous fussiez tous les deux dans l'erreur? — A. La chose est possible. — L. R. C'est un cas que tu avais oublié plus haut. — A. Je l'avoue. — L. R. Mais si vous reconnaissez l'un et l'autre que la chose est différente de ce qu'elle vous paraît, serez-vous encore dans l'erreur? — A. Non. — L. R. Une apparence peut donc être fausse, et celui qui voit cette apparence, ne pas se tromper? — A. C'est possible. — L. R. Il faut donc reconnaître que se tromper ce n'est pas voir de fausses apparences, mais y donner son assentiment? — A. C'est une chose évidente. — L. R. Mais le faux, pourquoi est-il faux? — A. Parce qu'il est différent de ce qu'il paraît. — L. R. Si donc il n'est pas d'être à qui le faux se montre, il n'existera rien de faux? — A. C'est une conséquence rigoureuse. — L. R. Il n'y a donc pas de fausseté dans les choses, mais dans les sens; or celui-là ne se trompe pas qui ne donne pas son assentiment à de fausses apparences : ce qui prouve qu'autre chose sont les sens et qu'autre chose nous sommes nous-mêmes; car lorsque les premiers se trompent , nous pouvons résister à l'erreur. — A. Je n'ai rien à opposer à ce que tu dis. — L. R. Mais lorsque l'âme se trompe, oseras-tu avancer que tu n'es pas trompé? — A. Comment l'oserai-je? — L. R. Or sans l'âme il n'y a point de sens, et sans les sens point de fausseté. L'âme est donc cause ou complice de l'erreur? — A. Ce qui précède me force d'admettre cette conséquence-là.