30.
Si tu trouves étrange que nous traduisions par longanimité, ce que les Grecs appellent makrotumian, il est bon de remarquer que nous appliquons souvent à l'âme des expressions qui appartiennent au corps, et au corps celles qui appartiennent à l'âme. Si Virgile a dit d'une montagne qu'elle est méchante, et de la terre qu'elle est très-juste1, expressions transférées de l'âme au corps, Cule vois, pourquoi t'étonner que nous disions aussi longanimité, quand les seuls corps peuvent avoir une longueur? Et parmi les vertus, celle que nous appelons grandeur d'âme , ne réveille pas l'idée de l'espace, mais d'une certaine force, c'est-à-dire de la générosité, de la puissance de l'âme, vertu d'autant plus estimable, qu'elle méprise davantage. Mais nous en parlerons plus tard quand nous examinerons la grandeur de l'âme, considérée comme ordinairement la grandeur d'Hercule, d'après l'excellence des actes et non d'après le volume des membres. Tel est en effet le plan que nous avons adopté.
L'important à cette heure est de te souvenir de ce que nous avons dit suffisamment au sujet du point : la raison nous l'a montré comme ayant la plus grande puissance et le rang le plus élevé parmi les figures. Or puissance et domination ne montrent-elles pas une certaine grandeur 7 Et cependant nous n'avons trouvé dans le point aucun espace. Quand donc nous entendons ou disons grandeur, élévation de l'esprit, notre pensée ne doit point se porter sur l'étendue locale qu'il occupe, mais sur sa puissance. Ainsi donc, si tu juges que nous ayons suffisamment aplani la première objection que tu as élevée pour montrer que l'esprit croissait avec l’âge et avec le corps, passons à une autre.
-
Enéid. liv. XII, v. 687. Géorg liv. II, v. 460. ↩