31.
Ev. Je ne sais si nous avons parcouru toutes les objections qui d'ordinaire me tourmentent, et il se peut que ma mémoire en oublie quelques-unes; toutefois, examinons celle qui me vient maintenant à l'esprit, c'est que l'enfant ne parle pas dans son bas-âge, et qu'il acquiert cette faculté en grandissant. — Aug. C'est facile à résoudre; tu sais, je crois, que chacun parle la langue des hommes au milieu desquels il est né et a été élevé. — Ev. Nul ne l'ignore. — Aug. Figure-toi maintenant un homme né et élevé dans un milieu où on ne parlerait point, où l'on n'aurait, pour exprimer ses pensées, que des signes et des gestes, ne crois-tu pas qu'il agira de la même manière, et qu'il ne parlera point, n'ayant entendu la parole de personne ? — Ev. Ne m'interroge point, je te prie, sur ce qui est impossible. Où y a-t-il des hommes semblables et comment me figurer un enfant né au milieu d'eux? — Aug. Tu n'as donc pas vu à Milan un jeune homme d'une taille élégante, d'une politesse exquise,. muet néanmoins, et tellement sourd qu'il ne comprenait les autres qu'aux mouvements du corps, et ne pouvait autrement exprimer sa volonté ? Il y est très-connu. J'ai connu aussi un paysan qui parlait, son épouse parlait aussi, ils eurent environ quatre enfants, filles et garçons, peut-être plus, car je ne me rappelle pas très-bien le nombre, tous étaient muets et sourds. Ils étaient muets, puisqu'ils ne pouvaient parler; sourds, puisqu'ils étaient dans l'impuissance de comprendre les signes autrement que parles yeux. — Ev. J'ai connu le premier, pour les autres je te crois; mais pourquoi rappeler ces faits? Aug. Parce que tu as prétendu ne pouvoir supposer qu'il naisse un enfant parmi de tels hommes. — Ev. Maintenant même je le dis encore; car, tu l'accordes, si je ne me trompe, ces enfants sont nés parmi des hommes qui parlaient. — Aug. Je ne le nie point; mais puisque nous accordons mutuellement qu'il peut naître de tels êtres humains, suppose, je te prie, que l'on unisse ensemble un tel homme et une telle femme, qu'un hasard les confine dans une solitude où ils puissent vivre cependant, que là ils aient un fils qui ne soit point sourd, comment ce fils parlera-t-il à ses parents? — Ev. Comment le penses-tu à ton tour? Ne leur fera-t-il pas les signes et les gestes qu'il leur aura vu faire? Mais comme celai
serait encore impossible à un tout jeune enfant, mon objection demeure entière. Qu'importe que l'accroissement donne à l'enfant la faculté de parler ou de faire des signes, quand l'un et l'autre sont du domaine de l'âme, à qui nous refusons l'accroissement?