CHAPITRE VI et VII. DIEU NE PEUT SE DÉFINIR; TOUS LES HOMMES COMPRENNENT SOUS L'IDÉE DE DIEU L'ÊTRE LE PLUS EXCELLENT.
6. Avons-nous dit et fait entendre un seul mot digne de Dieu? Non, sans doute, et je sens bien n'avoir eu que le désir de le faire, car ce que j'ai pu dire n'est pas ce que j'ai voulu dire. Si j'en ai la conviction, n'est-ce pas parce que Dieu est ineffable? Et si ce que ,j'ai dit était ineffable, aurais-je pu l'exprimer? Comment. même dire de Dieu qu'il est ineffable, puisque tout en lui. appliquant . cette expression, c'est en dire quelque chose? 11 existe ainsi je ne sais quelle contradiction dans les termes; car si l'on doit regarder comme ineffable ce qui ne peut s'exprimer, ce dont on peut dire seulement qu'il est ineffable, n'est plus ineffable. Prévenons par le silence cette lutte de mots, plutôt que de chercher à y mettre un terme par la discussion. Dieu cependant, dont on ne peut dignement parler, n'a point dédaigné l'hommage de la parole de l'homme, et il nous a fait un devoir de célébrer avec joie dans notre langage ses louanges et sa gloire. De là le nom même de Dieu, Deus, que nous lui donnons. Ce n'est point assurément le son de ces deux simples syllabes qui le fait connaître; mais lorsqu'elles viennent frapper les oreilles de tous ceux qui comprennent la langue latine, elles éveillent aussitôt dans leur esprit la pensée d'une nature immortelle et souveraine dans son excellence.
7. Quand, en effet, les hommes s'arrêtent à considérer le Dieu souverain, et je parle de ceux-mêmes qui se figurent d'autres dieux dans le ciel ou sur la terre, à qui ils rendent des vœux et des hommages, toujours ils se le représentent comme la nature la plus excellente et la plus sublime que leur esprit puisse concevoir. Mais ils sont touchés par des biens de différente nature, les uns par les plaisirs des sens, d'autres par les plaisirs de l'esprit. Ceux donc qui se laissent captiver par les sens, regardent comme le Dieu souverain le ciel, ou ce qu'ils y voient de plus éclatant, ou le monde lui-même. Et ceux dont les conceptions s'élèvent au delà des limites de cet univers, imaginent quelque substance lumineuse qu'ils supposent infinie, et à laquelle ils prêtent, dans leurs vaines fictions, telle forme qu’ils jugent la plus parfaite; ils lui attribuent même la figure du corps humain, quand ils la préfèrent à toutes les autres. S'ils n'admettent pas l'existence d'un Dieu souverain de tous les dieux, mais en imaginent un nombre infini de même ordre, ils se représentent toujours chacun d'eux sous la forme corporelle qu'ils .jugent la plus parfaite. Quant à ceux qui cherchent à découvrir par l'intelligence ce qu'est Dieu, ils le placent au-dessus de toutes les natures visibles et corporelles, au-dessus même de toutes les substances intelligentes et spirituelles, au-dessus de tous les êtres muables. Tous proclament à l'envi l'excellence de la nature divine, et pas un- seul ne se rencontre qui regarde Dieu comme un être inférieur à quelqu'autre que ce soit. Ainsi tous reconnaissent d'une voix unanime pour Dieu toute substance qu'ils estiment au-dessus de toutes les autres.
