CHAPITRE XIX. NÉCESSITÉ DE LA CONNAISSANCE DES DIVERSES SORTES DE FIGURES.
40. Les savants ne doivent pas ignorer que nos auteurs sacrés ont employé tous ces genres de locutions que les grammairiens appellent du nom grec de « tropes » ; qu'ils en ont fait un usage plus fréquent et plus riche que ne pensent ceux qui ne les ont pas lus, et qui ont appris ailleurs ces figurés du langage. Ceux qui ont connaissance de ce genre d'ornements, savent les distinguer dans les saintes lettres, dont l’intelligence leur devient ainsi plus facile. Ce n'est pas ici le lieu de les enseigner à ceux qui les ignorent, car je ne veux pas faire un cours de grammaire. Mais j'engage beaucoup à les apprendre ailleurs, comme je l'ai déjà fait dans le second livre, où j'ai parlé de la nécessité de la connaissance des langues. Car les lettres, d'où la grammaire a tiré son nom, puisque les Grecs les appellent Grammata , sont les signes des sons articulés du langage. L'Écriture nous offre, non-seulement des exemples de ces figures, comme de toute autre chose, mais les noms mêmes de quelques-unes, comme des allégories, des énigmes, des paraboles. D'ailleurs, presque toutes ces figures dont l'enseignement fait partie des arts libéraux se retrouvent sur les lèvres de ceux qui n'ont jamais entendu de grammairiens, et abondent dans le langage vulgaire. Ne dit-on pas tous les jours : Comme vous florissez ! figure qui se nomme métaphore ? N'appelle-t-on pas piscine un réservoir qui ne renferme aucun poisson, et n'est pas destiné à en recevoir, quoique ce terme tire de là son origine ? C'est là une catachrèse.
41. Il serait trop long de citer des exemples d'autres figures. La langue vulgaire a même su en former qui sont d'autant plus frappantes, qu'elles signifient le contraire de ce qu'expriment les paroles, telles que l'ironie et l'antiphrase. L'ironie indique sa pensée par le mode de prononciation ; ainsi on dit à quelqu'un qui fait le mal : Vous faites là une bonne action ! L'antiphrase, pour signifier l'opposé, n'a pas recours au ton de la prononciation ; elle emploie des termes particuliers tirés du contraire, comme celui de lucus donné à un bois sacré, parce que la lumière n'y pénètre pas ; ou certaines expressions consacrées par l'usage, bien qu'elles n'aient pas toujours le même sens, comme quand nous cherchons une chose dans un lieu où elle n'est pas, et qu'on nous dit: il en est rempli ; quelquefois c'est par certaines paroles ajoutées qu'elle fait entendre le contraire de ce qu'elle exprime, par exemple: Défiez-vous de cet homme, car c'est un homme de bien. Quel est l'ignorant qui en parle ainsi, sans savoir ni la nature, ni les noms de toutes ces figures ? Cependant la connaissance en est indispensable pour résoudre les difficultés de l'Ecriture ; car si un passage pris à la lettre n'offre qu'un sens absurde, il faut examiner s'il n'y a pas là telle ou telle ligure qui cache le sens véritable. C'est par ce moyen qu'on a porté la lumière dans la plupart des obscurités.
