CHAPITRE XVI. UTILITÉ DE LA CONNAISSANCE DES LANGUES, DE LA NATURE, DES NOMBRES ET DE LA MUSIQUE POUR L'INTELLIGENCE DES SIGNES FIGURÉS.
23. Le lecteur qui rencontre des signes figurés dont il ignore la signification, doit la chercher, soit dans la connaissance des langues, soit dans celle des choses mêmes. Ainsi le nom de Siloë, cette piscine où le Seigneur envoya pour s'y laver, celui dont il avait oint les yeux avec de la terre détrempée de sa salive, renferme un symbole frappant et révèle un profond mystère. Si l'évangéliste n'eût expliqué ce terme d'une langue inconnue, nous en eussions ignoré la signification profonde. Il y a dans les Livres saints beaucoup d'autres noms hébreux dont les auteurs n'ont pas donné l'interprétation; et il est certain que cette interprétation une fois connue, sert beaucoup à résoudre les difficultés de l'Écriture. Aussi plusieurs savants, très-versés dans la connaissance de cette langue, ont rendu un service considérable à la postérité, en s'appliquant à recueillir ces termes et à en donner l'explication; nous apprenant ce que signifie Adam, Eve, Abraham, Moïse, et ces noms de lieux : Jérusalem, Sion, Jéricho, Sina, Liban, Jourdain et tant d'autres noms hébreux qui nous sont inconnus. Il y a là une source de lumières pour l'intelligence des locutions figurées répandues dans les Livres saints. 1?
24. Ce qui contribue aussi à rendre obscures les expressions métaphoriques, c'est l'ignorance de la nature des choses, comme des animaux, des pierres, des plantes, etc,..., que l'Écriture emploie souvent comme termes de comparaison. Nous savons, par exemple, que le serpent expose au péril son corps tout entier pour préserver sa tête. Cette connaissance ne nous fait-elle pas mieux saisir la pensée du Seigneur, quand il nous ordonne d'imiter la prudence du serpent 2 ? Ne nous fait-elle pas entendre que nous devons livrer tous nos membres à nos persécuteurs, pour conserver Jésus-Christ qui est notre chef, et ne pas laisser mourir et s'éteindre en nous la foi chrétienne en reniant notre Dieu, pour épargner notre corps? Le serpent, après s'être enfermé dans une étroite, caverne, y dépose son ancienne enveloppe et y reprend de nouvelles forces. N'est-ce pas là nous dire que, à l'imitation de sa prudence, il nous faut. dépouiller le vieil homme, comme s'exprime l'Apôtre 3, nous revêtir du nouveau, et faire ce dépouillement en passant par la voie étroite, selon cette parole du Seigneur : « Entrez par la porte étroite 4 ? » Si donc la connaissance de la nature du serpent facilite l'intelligence des comparaisons que l'Écriture emprunte au caractère de cet animal, l'ignorance au contraire des habitudes des autres animaux ne peut que rendre incompréhensibles les nombreuses figures dont ils sont l'objet. J'en dirai autant à l'égard des pierres, des plantes et de tout ce qui tient à la terre par des racines. La connaissance de l'escarboucle qui brille dans les ténèbres, répand une vive lumière sur les obscurités des Livres saints, la où elle sert de comparaison. L'ignorance des propriétés du béril et du diamant, est souvent un voile sur les yeux du lecteur. Comment voyons-nous si facilement, dans ce rameau d'olivier que la colombe rapporta à son retour dans l'arche 5, le signe d'une paix perpétuelle, sinon parce que nous savons que le doux contact de l'huile résiste à l'action des liquides étrangers, et que l'olivier est toujours couvert de son feuillage? Si plusieurs eussent connu l'hysope, et la propriété qu'a cette plante, si petite et si faible, de purifier les poumons et de faire pénétrer, dit-on, ses racines dans les rochers, ils auraient compris la raison de cette parole de l'Écriture « Vous m'arroserez avec l'hysope, et je serai purifié 6. »
25. L'ignorance des nombres est encore un obstacle à l'intelligence de plusieurs passages métaphoriques et mystérieux de l'Écriture. Un esprit peu éclairé se demandera toujours avec étonnement pourquoi la durée du jeûne de Moïse, d'Elfe et du Seigneur a été de quarante jours. La difficulté que présente. cette figure disparaît avec la connaissance de la signification du nombre quarante. Il contient quatre fois dix, et comprend sous ce rapport la connaissance de toutes les choses soumises à la règle du temps. Le nombre quatre sert, en effet, à diviser le cours des jours et des années; le jour se compose des, heures du matin, du midi, du soir et de la nuit; et les mois, qui forment l'année, se distinguent en quatre saisons, le printemps, l'été, l'automne et l'hiver. Or, pendant que nous vivons dans le temps, il nous faut jeûner et nous abstenir des joies du temps, nous qui aspirons à vivre dans l'éternité. D'ailleurs, la rapidité du temps nous apprend assez par elle-même à mépriser les biens passagers et à désirer ceux qui sont permanents et éternels. D'un autre côté le nombre dix implique la science du Créateur et de la créature. Trois de ses parties représentent la Trinité divine, et les sept autres l'homme dans son corps et dans son principe vital. Ce principe de vie se manifeste par trois facultés différentes, qui ont donné lieu au précepte d'aimer Dieu de tout son « cœur,» de toute son« âme » et de tout son « esprit » Dans le corps se distinguent les quatre éléments qui le composent. Le nombre dix multiplié par le nombre quatre, qui marque la révolution des temps, nous rappelle donc l'obligation où nous
sommes de vivre dans la chasteté et la continence, et de renoncer aux joies frivoles du siècle présent. Tel est l'enseignement qui ressort de ce jeûne de quarante jours; enseignement exprimé par la Loi personnifiée dans Moïse, par les prophéties personnifiées dans Elie, et par le Seigneur lui-même, qui parut sur la montagne dans l'éclat de sa gloire aux yeux de ses trois disciples effrayés, ayant à ses côtés ces deux grands hommes, pour marquer que la Loi et les Prophètes lui rendaient témoignage 9.
C'est ainsi qu'on peut examiner encore comment du nombre quarante se forme le nombre cinquante, qui, dans la religion chrétienne, a reçu un caractère si sacré du mystère clé la Pentecôte ; constater que, répété trois fois, à raison des trois époques de la vie de l'humanité, avant la loi, sous la loi, et sous la grâce, ou à raison des noms du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et augmenté du nombre auguste de la Trinité même, il s'applique au mystère de l'Eglise sanctifiée, et forme le nombre des cent cinquante-trois poissons que prirent les apôtres après la résurrection du Seigneur, en jetant leurs filets du côté droit 10. D'autres mystères sont aussi voilés sous ces diverses figures des nombres répandus dans les saints Livres, et passent inaperçus aux yeux du lecteur peu versé dans cette connaissance.
26. Bien des vérités échappent aussi par suite de l'ignorance de ce qui tient à l'art de la musique. En traitant de la différence du psaltérion et de la harpe, un certain auteur a donné de plusieurs symboles une excellente explication. C'est une question qui a son intérêt, entre les hommes de l'art, de savoir s'il est quelque loi musicale qui oblige à donner au psaltérion le nombre de dix cordes 11. S'il n'existe aucune loi de ce genre, il faut reconnaître dans ce nombre une signification plus mystérieuse encore, tirée, soit des dix préceptes du Décalogue qui se rapportent au Créateur et à la créature, soit des considérations exposées plus haut sur le nombre dix. Ce nombre de quarante-six ans que dura la construction du temple, au rapport de l'Evangile 12, fait entendre je ne sais quelle harmonie ; car, appliqué à la formation du corps du- Seigneur, dont lui-même voulait parler sous la figure du temple, il contraint certains hérétiques à reconnaître que le Fils de Dieu a revêtu, non un corps fantastique, mais un véritable corps humain. C'est ainsi que ça et là dans l'Ecriture se montrent d'augustes de nobles allégories empruntées aux nombres et à la musique.
