CHAPITRE X. COMMENT RECONNAITRE QU'UNE EXPRESSION EST FIGURÉE.
14. On ne doit jamais, avons-nous dit, donner un sens littéral à une expression figurée. Ajoutons que de même, il faut éviter de prendre le sens méthaphorique pour le sens littéral. Il est donc nécessaire de déterminer d'abord par quel moyen on peut reconnaître si une expression est naturelle ou métaphorique. Le principe général est de tenir pour figuré tout ce qui, dans le texte sacré, n'a pas un rapport réel aux vérités de la foi, ou à la pureté des mœurs. La pureté des moeurs a pour objet l'amour de Dieu et du prochain, et les vérités de la foi, la connaissance de l'un et de l'autre. Quant à l'espérance, elle se forme dans la conscience de chacun, en raison des progrès qu'il fait dans cette connaissance et cet amour. Nous avons traité ces matières dans le premier livre.
15. Mais, par suite de la propension qu'ont les hommes de juger de la nature du péché, plutôt d'après la coutume que par l'influence de la convoitise, il arrive très-souvent qu'ils ne condamnent ou n'approuvent que ce que l'usage approuve ou condamne dans la société au sein de laquelle ils vivent. De là vient que, là où l'Écriture condamne ou défend ce que la coutume réprouve ou autorise, les esprits qui d'ailleurs s'inclinent devant l’autorité de la parole divine, ne voient qu'un langage figuré. Cependant l'Écriture ne prescrit que la charité, ne condamne que la cupidité, et établit ainsi la règle des mœurs. De même un esprit imbu de quelque opinion erronée prendra dans un sens figuré toutes les assertions contraires des Livres saints. Et cependant, dans tout ce qui tient au passé, au présent et à l'avenir, ces livres n'affirment que ce qui est de foi catholique. Ils racontent le passé, prédisent l'avenir, exposent le présent, et tout cela concourt à nourrir et à corrober la charité, à vaincre et à déraciner la cupidité.
16. J'appelle charité ce mouvement de l'âme qui la porte à jouir de Dieu pour lui-même, du prochain et de soi-même par rapport à Dieu. J'appelle cupidité ce penchant qui entraîne l'âme à jouir de soi, du prochain et de tout objet sensible en dehors de Dieu. On appelle intempérance, « flagitium, » tout ce que fait cette cupidité effrénée pour corrompre l'âme et le corps; et iniquité, « facinus, » ce qu'elle entreprend pour nuire à autrui. Telles sont les deux sources d'où jaillissent tous les crimes; mais l'intempérance marche la première. Quand elle a jeté l'âme dans un vide affreux et dans une entière indigence, cette âme se livre à toutes sortes d'injustices pour satisfaire ses désirs corrompus, ou renverser tout ce qui y met obstacle. De même ce que fait la charité pour son propre avantage, se nomme utilité; et ce qu'elle fait dans l'intérêt du prochain, s'appelle bienfaisance. L'utilité précède, parce qu'on ne peut faire part à autrui de ce qu'on n'a pas. Or, plus le règne de la cupidité s'affaiblit, plus se fortifie celui de la charité.
