5.
Vous avez entendu ces paroles du Psalmiste : « J'ai vu la dernière consommation de toutes choses1 ». Qu'avait-il vu ? A notre sens, avait-il gravi une montagne élevée dont la cime perçait les nues? Avait-il aperçu, de là, le circuit de la terre et toute la configuration de l'univers? Est-ce pour cela qu'il a dit: « J'ai vu la dernière consommation de toutes choses ? » Est-ce digne de louanges d'avoir des yeux corporels assez perçants pour découvrir sur la terre une montagne si élevée, que du haut de son sommet nous puissions contempler le dernier terme de toutes choses ? Ne va pas loin ; je te le dis, gravis la montagne, et vois le terme. Cette montagne, c'est le Christ; viens au Christ; de là tu apercevras le dernier terme de la consommation de toutes choses. Quel est ce terme? Interroge Paul. « La fin des commandements est la charité d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère2 ». Il dit encore ailleurs : « La plénitude de la loi est la charité3 ». Y a-t-il rien de plus fini, de plus complètement terminé que la plénitude? Car, mes frères, l'Apôtre emploie le mot « Fin » dans un bon sens. Ne l'entends donc pas dans le sens de consomption, mais dans celui de terminaison. Autre chose est, en effet, de dire : J'ai fini mon pain ; autre chose est de dire: J'ai fini ma tunique. J'ai fini mon pain, parce que je l'ai mangé ; j'ai fini ma tunique, parce qu'elle est tissée. Dans un cas comme dans l'autre, il est question de fin ; cependant, si le pain est fini, c'est qu'il est anéanti; et si la tunique est finie, c'est qu'elle est terminée. Du pain fini n'existe plus; une tunique finie est complètement faire. Interprétez donc le mot fin dans ce dernier sens, même quand on vous lit un psaume et que vous entendez ces mots : « Psaume de David pour la fin ». A chaque instant, dans les psaumes, se présentent ces paroles, et il vous faut comprendre ce que vous entendez. Qu'est-ce à dire : « Pour la fin? Jésus-Christ est la fin de la loi pour tous ceux qui croiront4 ». Et qu'est-ce à dire: « Jésus-Christ est la fin ? » C'est que le Christ est Dieu, que la fin des commandements est la charité, et que Dieu est charité; car le Père, le Fils et le Saint-Esprit ne sont qu'un. Pour toi, la fin se trouve là ; ailleurs est la voie. Ne t'arrête pas en route; prends garde de ne point atteindre la fin. A n'importe quoi tu parviennes, va plus loin, marche toujours jusqu'à la fin. Quelle est la fin ? « Mon bien est de m'attacher « au Seigneur5 ». Tu t'es approché de Dieu ; tu as terminé ta course; tu resteras désormais dans la patrie. Attention ! Un homme veut avoir de l'argent; que ce ne soit pas là ta fin ; pareil à un voyageur, va plus loin. Cherche où tu passeras, et non pas où tu t'arrêteras. Mais si tu aimes ce qui passe, l'avarice te tient dans ses filets; elle sera pour tes pieds comme une chaîne qui t'empêchera de faire un pas de plus. Va donc encore plus loin ; cherche la fin. Tu veux te procurer la santé du corps , ne t'arrête pas encore là. Qu'est-ce, en effet, que cette santé du corps, que la mort enlève, que la maladie affaiblit, qui est frivole, qui dépérira, qui passera? Tâche de la posséder, mais afin qu'une constitution maladive ne t'empêche point de vaquer aux bonnes oeuvres. En ce cas, elle n'est pas ta fin, puisque tu la recherches pour autre chose que pour elle-même. Tout ce que nous recherchons dans un autre but que d'en jouir, nous n'y trouvons pas notre fin; au contraire, tout objet que nous recherchons pour lui-même, sans porter nos vues ailleurs, nous en faisons notre fin. Tu recherches les honneurs, peut-être dans l'intention de faire quelque chose, d'accomplir une obligation, de plaire à Dieu. Ne leur donne pas tes affections, car tu pourrais les y fixer. Tu recherches les louanges ? Si c'est pour Dieu, tu fais bien ; si c'est pour toi, tu fais mal; tu t'arrêtes en chemin. Mais voilà qu'on t'aime, qu'on fait ton éloge ; ne t'applaudis pas pour toi-même des louanges qu'on te donne ; il faut t'en applaudir pour Dieu, afin que tu puisses chanter ces paroles: « Mon âme sera louée dans le Seigneur6». Tu fais un beau discours; en fait-on l'éloge? Ne l'accepte pas comme si ce discours venait de toi; là n'est pas ta fin. Si tu y trouves ta fin, tu es fini; mais tu es fini, non pas dans le sens de la perfection, mais dans le sens de la consomption. Ne reçois donc pas d'éloges pour les discours comme s'ils venaient de toi, comme s'ils étaient les tiens. Comment dois-tu en accepter l'éloge? Comme dit le Psalmiste: « En Dieu je louerai le discours; en Dieu je louerai la parole7 ». Et par là s'accomplira en toi ce qui suit : « En Dieu j'ai placé mon espoir, je ne craindrai pas ce que l'homme peut me faire ». Quand c'est en Dieu que tu trouves la louange de tes oeuvres, tu n'as pas à craindre la vanité de ces éloges, car Dieu demeure toujours. Va donc encore plus loin que cela.