CHAPITRE XXXVIII. LA CRAINTE NÉCESSAIRE AUX VIERGES.
39. Je suis pour vous saisi d'une grande crainte. Si vous vous glorifiez de pouvoir suivre l'Agneau, partout où il va, je tremble que, gonflées d'orgueil, vous ne puissiez le suivre par le sentier étroit. O âme virginale, conservez dans votre coeur ce que vous y avez reçu par le baptême , conservez aussi dans votre corps ce qui y était en naissant; mais il est bon aussi que, sous l'influence de la crainte du Seigneur, vous conceviez et enfantiez l'esprit de salut1. « La crainte, il est vrai, n'est pas dans la charité, et la charité parfaite l'exclut entièrement2 ». Mais la crainte dont il est ici parlé, c'est la crainte humaine et non la crainte surnaturelle; la crainte des maux temporels et non la crainte du jugement de Dieu. « Gardez-vous de porter trop haut vos prétentions, mais craignez3? » Aimez la bonté de Dieu, mais craignez la sévérité de sa justice ; l'amour et la crainte ne supportent point l'orgueil. En aimant, vous craignez d'offenser gravement Celui que vous aimez et qui vous aime. Or, quelle offense plus grande que de déplaire, par l'orgueil, à Celui qui, à cause de vous, s'est attiré la haine des orgueilleux ? Cette chaste crainte, qui demeure dans le siècle des siècles4, où peut-elle mieux se trouver qu'en vous qui, étrangère à toutes les pensées du monde et au soin de plaire à un époux, n'avez de pensées que pour Dieu et ne cherchez à plaire qu'à lui seul5 ? La crainte humaine ne s'allie point avec la charité; mais cette crainte chaste dont je parle en est inséparable. Si vous n'aimez pas, craignez de périr; si vous aimez, craignez de déplaire. La charité exclut la première de ces deux craintes; elle s'allie intimement à la seconde.
Saint Paul a dit : « Nous n'avons pas reçu l'esprit de servitude pour craindre, mais l'esprit d'adoption des enfants et c'est par lui que nous crions : mon Père6 » . L'Apôtre fait ici allusion à cette crainte, donnée sous l'Ancien Testament, de la perte des biens temporels, que Dieu avait promis à ceux qui, loin d'être ses enfants sous l'empire de la grâce, n'étaient que des esclaves sous l'empire de la loi. La crainte peut aussi avoir pour objet le feu éternel; servir Dieu pour échapper à ce feu, ce n'est pas encore faire preuve de charité parfaite. En effet, il y a une différence à établir entre le désir de la récompense et la crainte du châtiment. S'écrier : « Où irai-je loin de votre esprit? où finirai-je loin de votre face7 ?» c'est bien différent que de dire: « J'ai demandé une seule chose au Seigneur et je m'y attacherai : c'est d'habiter tous les jours de ma vie dans la maison du Seigneur, afin d'y contempler les joies éternelles et de m'abriter, moi son temple » ; ou bien encore : « Ne détournez pas de moi votre face8 » ; ou encore. « Mon âme est défaillante au désir d'arriver à la maison du Seigneur9 ». Laissez les premières paroles à celui qui n'osait pas lever les yeux au ciel et à celle qui arrosait de ses larmes les pieds du Sauveur pour obtenir le pardon de ses crimes; les autres ne s'appliquent qu'à vous, dont l'unique sollicitude est de plaire au Seigneur et de vous rendre sainte de corps et d'esprit. La crainte agitée; celle que rejette la charité parfaite, doit s'approprier les premières paroles; les secondes appartiennent à cette chaste crainte du Seigneur, qui subsiste encore pour les siècle des siècles. A l'une et à l'autre il doit être dit : «Gardez-vous déporter trop haut vos prétentions, mais craignez » ; que l'homme donc ne s'élève ni par la justification de ses péchés, ni par la, présomption de sa justice. Si l'Apôtre a dit : « Vous n'avez pas reçu l'esprit de servitude pour craindre » ; il dît aussi de la crainte qui accompagne la charité : « J'ai beaucoup craint pour vous et beaucoup tremblé[^10] ». Ne voulant pas que l'olivier greffé s'élevât d'orgueil au-dessus des rameaux brisés de l'olivier sauvage, il a prononcé cette sentence : « N'aspirez point à tant « de hauteur, mais craignez ». S'adressant ensuite à tous les membres du Christ en général, il ajoute : « Opérez votre salut avec crainte et tremblement, car c'est Dieu qui opère en vous la volonté et l'action suivant son bon plaisir[^11] ». Il n'est plus possible dès lors d’appliquer, d'une manière exclusive, à l'Ancien Testament , ces autres paroles : « Servez le Seigneur avec crainte et tressaillez en lui avec tremblement[^12] » .
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I Cor. II, 3.
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Philip. II, 12, 13.
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Ps. II, 11 .