CHAPITRE VI.
CHICANES DES ARIENS SUR LES MOTS engendré ET non-engendré.
- Ici les Ariens élèvent contre ce langage une difficulté qu’ils croient péremptoire, et ils raisonnent ainsi : Il est vrai que le Père est dit Père par rapport au Fils, comme le Fils est dit Fils par rapport au Père, ce qui n’empêche pas que les termes, non-engendré et engendré, doivent s’affirmer en eux de la substance et non de la relation, car père et non. engendré ne sont point synonymes, puisqu’en supposant que le Père n’eût pas engendré de fils, il n’en serait pas moins lui-même non-engendré, à l’opposé de ce qui arrive dans le monde où nous voyons que le père qui engendre un fils, ne peut se dire lui-même non engendré, parce que toute la race humaine ne se produit et ne se propage que par la génération. — Résumons ce raisonnement : les mots père et fils supposent une relation entre les personnes divines, tandis que ceux de non-engendré et d’engendré tombent sur la personnalité elle-même, et s’entendent de la substance. Or être engendré et n’être pas engendré sont deux choses absolument différentes; donc en Dieu il y a diversité de substance.
Voilà bien le langage des Ariens; mais en parlant ainsi, ils ne comprennent point qu’ils énoncent ici sur le Père une proposition à laquelle ils devraient réfléchir avec plus de soin, car, même sur la terre tout homme n’est point père parce qu’il n’est point engendré, ni non-engendré, parce qu’il est père. Ainsi le terme de non-engendré n’est pas un terme de relation, tandis qu’il y a relation, mais ils sont trop aveuglés pour le voir, à être engendré. Et en effet, si l’on est fils, c’est qu’on a été engendré, et on a été engendré parce qu’on est fils. Or, c’est cette double relation de la paternité et de la filiation qui dans la Trinité relie le Père au Fils et le Fils au Père; c’est-à-dire la personne qui engendre, à la personne qui est engendrée. Aussi concevons-nous sous deux idées différentes que le Père engendre, et que lui-même n’est point engendré. Toutefois nous ne l’affirmons de Dieu le Père que par relation avec le Fils; ce que nient nos adversaires qui veulent que la propriété d’être non-engendré tombe sur la personnalité même du Père. Ils disent donc: Une chose s’affirme du Père, et ne peut s’affirmer du Fils, et cette chose affecte directement la substance divine. Et en effet le Père possède personnellement la propriété de n’être point engendré, tandis que le Fils en est privé; donc il est non-engendré selon sa substance, et parce qu’on ne saurait le dire également du Fils, celui-ci n’est pas consubstantiel au Père.
Il me suffit, pour répondre à cette chicane, de presser mes adversaires de nous dire en quoi le Fils est égal au Père, est-ce par identité de nature, ou bien seulement par relation de personne à personne? La seconde proposition n’est pas admissible, parce qu’elle confondrait en Dieu toute notion de paternité et de filiation, et que de plus la même personne divine n’est point tout ensemble Père et Fils. Au reste dans la Trinité le Père et le Fils ne sont point entre eux, comme sur la terre sont les amis et les voisins. L’amitié n’existe d’homme à homme que par relation; et si deux amis s’aiment avec la même cordialité, on dit qu’il y a entre eux égalité de sentiments. De même entre voisins, ce sont des relations de bienveillance; et quand cette bienveillance est réciproque, on dit qu’il y a entre eux égalité de bons rapports. Mais ici le Fils n’est point Fils parce qu’il est Dieu, mais parce qu’il est engendré du Père, en sorte que ne pouvant lui être égal en raison même de cette filiation, il ne saurait l’être qu’en nature. Or, tout ce qui se dit de la nature, s’affirme de la substance : donc le Fils est consubstantiel au Père. Observons aussi qu’en disant que le Père n’est pas engendré, nous disons bien moins ce qu’il est que ce qu’il n’est pas; et remarquons encore qu’en Dieu la négation d’une relation quelconque n’atteint point la substance, parce que ces deux choses sont entièrement distinctes.