15.
Ayant pressé un jour un de vos philosophes de me dire ce qu'il pensait de la nature de l'âme, et s'il croyait qu'elle eût existé avant le corps, il me répondit que le corps et l'âme existaient en même temps. Je savais bien que cet hérétique voulait m'en imposer et me jeter de la poussière aux yeux; mais, après l'avoir attaqué de tous ailés, enfin il me donna assez à entendre que l'âme ne doit être appelée âme qu'après son union avec le corps qu'elle anime; et qu'avant cette union on l'appelait ou démon, ou ange de Satan, ou esprit de fornication. ou bien domination, puissance, esprit dirigeant ou envoyé de Dieu. Si l'âme existait avant la création du premier homme, dans quelque état et quelque situation qu'on la considère, elle vivait, cette âme, elle agissait; car enfin on ne peut pas s'imaginer qu'étant incorporelle et éternelle, elle fût toujours immobile et endormie comme un loir. Ce n'est donc pas sans raison que Dieu a mis dans un corps cette âme qui auparavant n'en avait point. Que s'il est de la nature de l'âme d'être sans corps, il suit qu'il est contre sa nature d'être unie au corps; la résurrection sera donc contraire aux lois de la nature. Or, comme cela ne se peut dire, il faut conclure, selon vos propres principes, qu'après la résurrection les corps n'auront point d'âme, puisqu'ils ne peuvent ressusciter contre l'ordre de la nature.
Vous dites que l'âme n'est point une portion de la substance de Dieu; vous avez raison, et par là vous condamnez l'impie Manès, dont on ne peut seulement prononcer le nom sans se souiller soi-même. Vous dites que les anges ne deviennent point âmes; je vous passe cette assertion, quoique je sache bien dans quel sens vous l'entendez. Mais puisque nous savons ce que vous niez, obligez-nous maintenant de nous dire ce que vous croyez . «Dieu, dites-vous, ayant pris du limon de la terre, en forma l'homme; de son souffle il lui donna une âme raisonnable, douée du libre arbitre, une âme d'une nature toute particulière, et qui n'était pas, comme le disent quelques impies, une portion de sa propre substance. » Quel détour Jean prend pour dire ce qu'on ne lui demande point! Nous savons que Dieu a formé l'homme du limon de la terre, et qu'ayant répandu sur son visage un souffle de vie, l'homme devint vivant et animé. Nous n'ignorons pas que l'âme est raisonnable et clouée du libre arbitre, que sa création est l'ouvrage clé Dieu. 'l'out le monde convient que c'est une erreur d'enseigner, comme fait Manès, que l'âme est une portion de la substance de Dieu. Mais je vous demande, cette âme qui est l'ouvrage de Dieu, qui est raisonnable et douée du libre arbitre, et qui n'est point une portion de la substance du Créateur, quand a-t-elle été créée? était-ce lorsque Dieu forma l'homme du limon de la terre et répandit sur son visage un souffle de vie? ou existait-elle parmi les créatures raisonnables et incorporelles avant que Dieu la communiquât à l'homme par son souffle? C'est ici que vous demeurez muet, que vous faites semblant de ne rien comprendre à la question qu'on vous adresse, et que vous employez les paroles de l'Écriture à nous annoncer une doctrine que l'Écriture n'enseigna jamais. Au lieu de nous dire (ce qu'on ne vous demandait pas ) que l'âme n'est point une portion de la substance de Dieu, comme l'enseignent quelques impies, vous deviez dire, pour répondre juste à ce qu'on vous demandait, que l'âme que Dieu donna à l'homme par son souffle n'était pas une âme qui eût existé, qui eût été créée, qui eût vécu parmi les créatures raisonnables, incorporelles et invisibles longtemps avant son union avec le corps. Vous produisez Manès sur la scène et vous tirez le rideau sur Origène. Semblable à ces nourrices qui, lorsque leurs petits enfants demandent à manger; leur présentent quelque poupée pour les amuser et pour leur en faire perdre l'idée, vous tâchez de nous mettre sur d'autres voies, afin qu'occupés du nouveau personnage que vous nous présentez, nous perdions de vue celui que nous cherchons.