IX.
Je crois devoir confondre en cet endroit la vanité de ceux qui, pour faire accroire que les sens imposent, remarquent les rencontres particulières on les yeux se trompent. Ils observent entre autres choses que tout paraît double à ceux qui sont transportés de colère et à ceux qui sont pris de vin. Mais la cause de cette méprise n'est que trop connue, car elle ne procède que de ce que nous avons deux yeux. Voici comment cela arrive. L'action de la vue se fait, comme je l'ai déjà dit, par l'application de l'esprit, et l’âme voit par les deux yeux comme par deux fenêtres. De là vient que les objets sont quelque fois vus doubles non seulement par ceux qui sont ou fous ou ivres, mais par ceux qui sont et sages et sobres. Il ne faut pour cela que les regarder de trop près et au deçà de l'intervalle où l’action des yeux se réunit en une. La même chose arrive quand l'âme se retire en elle et qu'elle demeure fortement appliquée ; la méditation; car alors l'action des yeux se double et représente tels tous les objets. Dès que l'esprit se relâche de la méditation et qu'il s'applique à regarder, ce qui paraissait double devient unique. Il ne faut donc pas trouver étrange que, lorsque l'âme est affaiblie par la violence du vin, elle ne puisse voir par les yeux non plus qu'elle ne peut marcher par les pieds, qui ne font que chanceler. Il n'y a pas plus de sujet de s'étonner que la fureur qui agite le cerveau empêche l'union des yeux. Cela est si vrai que quand les louches tombent ou en démence ou en ivresse, ils ne voient rien de double Ainsi la raison pour laquelle les yeux se trompent quelquefois étant manifeste, il ne s'ensuit pas pour cela que tous les sens nous imposent; car quand ils sont sains et entiers, ils ne se trompent point, ou, s'ils se trompent, l'âme reconnaît leur erreur et ne s'y laisse pas surprendre.