Chapitre LX
Une autre fois, étant assis au même lieu, il vit en regardant en haut quelqu’un qui était élevé en l’air, et plusieurs autres qui venaient au devant de lui. Cela le remplit d’admiration et, bénissant cette sainte assemblée, il désira beaucoup apprendre ce que cela pouvait être. Soudain il entendit une voix qui lui dit que c’était l’âme d’Ammon, le solitaire qui demeurait en Nitrie. Cet Ammon avait passé toute sa vie jusqu’à sa vieillesse au service de Dieu dans la solitude et il y avait treize jours de chemin depuis le lieu où il était mort jusqu’à la montagne où était Antoine. Ceux qui se trouvèrent alors auprès du saint vieillard, le voyant plein d’admiration, désirèrent en connaître la cause et apprirent de lui que c’était Ammon qui venait de rendre l’esprit. Or il leur était bien connu parce qu’il venait souvent en ce lieu-là, et à cause du grand nombre de ses miracles dont je veux en rapporter un. Un jour qu’il lui fallait passer le fleuve Lique, qui avait débordé, il pria Théodore qui l’accompagnait de s’éloigner de lui afin qu’en traversant l’eau, il ne se voient point nus. Théodore s’étant éloigné, il eut honte de se voir lui-même tout nu. Et comme cette honte lui causait de la peine, il fut soudain transporté de l’autre côté du fleuve. Théodore était aussi un homme qui craignait beaucoup Dieu. Il vint trouver Ammon et, voyant qu’il était passé devant lui sans être mouillé, il désira savoir comment cela était possible. Ammon ne voulant pas le lui dire, il se jeta à ses pieds en protestant qu’il n’en partirait pas jusqu’à ce qu’il le lui eut dit. Le vieillard, voyant l’obstination de Théodore, et particulièrement à cause de cette protestation, résolut de le lui dire, à condition qu’il qu’en parle qu’après sa mort. Et ainsi il lui dit qu’il avait été emporté de l’autre côté du fleuve sans marcher sur l’eau. Ce qui est absolument impossible aux hommes et possible seulement à Notre Seigneur et à ceux auxquels il lui plaît de faire cette grâce, comme au grand Apôtre saint Pierre. Théodore rapporta cela de cette manière, après le décès d’Ammon. Or les solitaire à qui Antoine avait ainsi parlé de sa mort, retinrent le jour et surent un mois après, par des frères qui revenaient de Nitrie, qu’Ammon avait rendu l’esprit ce jour-là et à l’heure même où Antoine avait vu son âme portée dans le ciel. Les uns et les autres admirèrent la pureté de l’âme d’Antoine qui lui avait fait voir treize jours avant qu’il ait pu en apprendre la nouvelle, cette heureuse âme ainsi élevée dans la gloire.