10.
BASILE. Mais tu n’as donc pas de combats à livrer, ni de soucis à endurer, étant seul comme tu es, et tout entier à toi-même?
CHRYSOSTOME. .J’en ai assurément même dans l’état où je suis. Je suis toujours homme, toujours voyageur dans cette vallée de larmes qui se nomme la vie, il ne faut donc pas demander si j’ai ma part de soucis et d’angoisses. Toutefois, ce n’est pas la même chose de n’avoir qu’un fleuve à traverser, ou d’être embarqué sur un océan sans limite. Car telle est la différence que je mets entre la vie du prêtre et celle du simple fidèle. Ce n’est pas que, si je pouvais être utile aux autres, je ne le voulusse de tout mon coeur; ce serait même mon voeu le plus cher; mais ne pouvant aider mes frères, si je parviens à me sauver moi-même, et à me retirer du milieu des flots, je devrai m’estimer très-heureux.
BASILE. Es-tu bien sûr de pouvoir faire ton salut, sans contribuer en rien à celui des autres?
CHRYSOSTOME. L’observation est excellente; non, je ne crois pas que l’on puisse se sauver sans travailler au salut de ses frères. Je sais qu’il ne servit de rien au malheureux dont parle l’Evangile, d’avoir conservé tout entier le talent qu’on lui avait confié, mais qu’il le perdit pour ne l’avoir pas fait fructifier, et (619) ne lui avait pas fait rendre deux pour un. (Matth. XXV, 24.) Toutefois, j’espère encourir une moindre punition, si je suis condamné pour n’avoir sauvé personne, que si je l’étais pour en avoir perdu d’autres avec moi, après que la dignité sacerdotale, n’aurait servi qu’à me rendre plus mauvais. Tel que je suis maintenant, j’ai la confiance de ne subir que le châtiment rigoureusement exigé par la gravité de mes péchés, tandis qu’en acceptant le sacerdoce je m’exposais à un supplice, je ne dirai pas deux ou trois fois, mais mille fois plus rigoureux, en raison des scandales donnés aux hommes et des offenses faites à Dieu qui m’aurait honoré de ses plus hautes faveurs.