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Works Synesius of Cyrene (370-413) De prouidentia L'Égyptien ou De la providence
LIVRE II

2.

Une pauvre femme, chargée d’années, se tenait d’ordinaire à l’une des portes de la ville; dans sa misère, pour gagner sa vie, elle en était réduite à tendre la main, afin d’obtenir quelque aumône. Elle allait reprendre son poste de mendiante dès l’aurore, car il n’est rien de tel que l’indigence pour nous priver de sommeil; là elle exerçait son métier : accompagnant de ses vœux ceux qui se rendaient à leurs travaux, elle leur annonçait une heureuse journée; elle leur souhaitait, elle leur promettait les faveurs du ciel. Comme déjà il faisait clair, elle voyait de loin tout le remue-ménage des Scythes, qui, semblables à des voleurs, ne cessaient d’aller et de venir, emportant leurs bagages. Alors elle s’imagina que le dernier jour de Thèbes était arrivé; elle crut qu’ils voulaient ne rien laisser de ce qui leur appartenait dans la ville, et qu’après avoir décampé ils pourraient mettre à exécution leurs criminels projets; car ils n’auraient plus à craindre que la communauté de séjour les exposât aux mêmes dangers que leurs victimes. Alors, jetant la sébile dans laquelle elle recueillait les aumônes, elle se mit à pousser des gémissements, à implorer les dieux. « Vous n’étiez que des bannis, s’écria-t-elle, errant loin de votre patrie, quand l’Égypte vous a accueillis comme des suppliants. Comme des suppliants! non, ce n’est pas ainsi qu’elle vous a traités: elle vous a accordé le droit de cité, elle vous a donné part aux magistratures, enfin elle a fait de vous les maîtres de l’État. Aussi voit-on des Égyptiens prendre la manière de vivre des Scythes : ils trouvent profit à vous ressembler. Les usages de notre pays font place aux vôtres. Et maintenant vous partez, vous décampez avec armes et bagages! Les dieux ne vous trouveront-ils pas coupables d’ingratitude envers vos bienfaiteurs? Car ils existent, ces dieux, et ils vous poursuivront même après la ruine de Thèbes. » En achevant ces mots elle se jette la face contre terre. Un Scythe accourt, l’épée à la main, pour couper le cou à cette femme; car en même temps qu’elle les injuriait, elle dénonçait, croyait-il, leur départ nocturne. Il s’imaginait que personne ne se doutait de rien, parce que ceux-là même qui avaient bien remarqué tous leurs mouvements n’osaient parler. Cette femme allait donc périr. Mais à ce moment survient un dieu ou un homme semblable à un dieu; il apparaît, l’indignation peinte sur le visage; détournant sur lui la colère du Scythe, il soutient son attaque; il évite le coup dont il est menacé, il frappe son adversaire et le renverse. Un autre Scythe succède au premier, et a le même sort. Alors s’élèvent des cris; on accourt de toute part : d’un côté les barbares, quittant leurs bêtes de somme et leurs convois, interrompent leur départ; près de sortir des portes ou déjà sortis, ils reviennent en toute hâte sur leurs pas pour porter secours à leurs camarades; de l’autre le peuple s’attroupe. Un Thébain tombe mortellement blessé par un Scythe; le Scythe est tué à son tour, et celui qui l’a tué succombe sous les coups d’un autre Scythe. Combattants des deux partis frappent et sont frappés. Les Thébains se faisaient une arme de tout ce qui leur tombait sous la main; ils profitaient d’ailleurs des épées dont ils dépouillaient les morts ou qu’ils arrachaient aux vivants; ils avaient l’avantage du nombre, car la plupart des étrangers avaient été camper aussi loin que possible, hors des murs, afin de n’avoir pas à redouter des embûches qui n’existaient point, mais dont un dieu effrayait leur imagination, pour leur faire quitter cette ville qu’ils tenaient en leur pouvoir; les autres, une poignée d’hommes à côté de la population, étaient occupés à enlever tout ce qui leur appartenait. Les Thébains donc, beaucoup plus nombreux, étaient aux prises avec ceux des barbares qui se trouvaient déjà près des portes ou qui arrivaient pour sortir. Le tumulte allait croissant; c’est alors que se révéla la puissance des dieux. Quand la nouvelle de cette mêlée fut répandue par toute la ville et parvint jusque dans le camp des étrangers, des deux côtés on crut que c’était l’attaque depuis si longtemps redoutée. Les Thébains s’imaginèrent que c’était le jour fixé par les barbares pour ruiner l’Égypte et déposer toute honte; ils résolurent donc de ne pas succomber sans vengeance, et de s’ensevelir dans leur vertu : sauver leur vie, ils n’y pouvaient songer, même quand un dieu leur en aurait donné l’assurance; ils se précipitaient tous dans la mêlée, avec le désir de se signaler, et se trouvant suffisamment payés de leur mort s’il survivait quelques témoins de leur courage. Les barbares, qui avaient caché leur départ, se croyant surpris, ne s’inquiétaient pas des compagnons qu’ils laissaient derrière eux, et qui formaient cependant le cinquième de leur armée; ne songeant plus qu’à leur propre sûreté, et craignant d’être accablés par l’ennemi, ils prennent la fuite, et vont camper plus loin, s’estimant heureux d’échapper, pour la plupart, au danger qui les avaient tous menacés. Quant à ceux qui étaient demeurés dans les maisons, comme d’avance les dieux les avaient frappés de terreur, supposant que les Scythes avaient essuyé une grave défaite, ils se figuraient que les Égyptiens poursuivaient comme des fuyards ceux qui étaient sortis, et allaient dévaster le camp; ils crurent donc que, pour eux, ce qu’ils avaient de mieux à faire c’était de ne pas bouger, de mettre bas les armes, et d’attendre en suppliants: de la sorte ils auraient l’air d’être restés parce qu’ils étaient les seuls qui n’eussent rien à se reprocher envers les Égyptiens, tandis que les autres, craignant la juste punition de leurs méfaits, s’étaient éloignés de la ville. Les Thébains qui se trouvaient près des portes et qui avaient soutenu le combat pouvaient seuls se rendre un compte exact de la situation: ils savaient que les Égyptiens n’avaient aucune espèce de ressources militaires, qu’ils manquaient de javelots et d’armes, aussi bien que de soldats. L’idée leur vient de profiter de l’occasion, d’occuper les portes et d’appeler à eux les habitants, dispersés, comme des oiseaux, par la terreur, et si troublés qu’ils auraient, sans résistance, laissé piller la ville. Sortis victorieux de ce rude combat, les Égyptiens entonnent un chant de triomphe ; la peur des barbares redouble: ceux qui restent, comme ceux qui sont partis, croient que leurs camarades ont succombé sous les coups des habitants, et se pleurent mutuellement. Les vainqueurs s’occupaient de fermer les portes, et ce n’était pas une petite besogne dans cette grande cité de Thèbes, célèbre chez les Grecs pour ses cent portes. L’un des Scythes qui avaient pris part à la lutte, s’échappant de la mêlée, court annoncer à ses compagnons qu’ils peuvent, sans coup férir, se rendre maîtres de la ville : ils revinrent, mais inutilement, de sorte qu’ils avaient, dans le même moment, à se louer et à se plaindre de la fortune. Jusque-là ils s’étaient félicités d’avoir échappé au danger; mais ensuite c’est en vain qu’ils espérèrent trouver une brèche ouverte qui leur permît de faire irruption dans la ville. Rien ne prévaut contre la sagesse divine : toutes les armes sont impuissantes, tous les conseils sont superflus sans l’assistance de Dieu; aussi parfois nos efforts tournent contre nous-mêmes. L’homme, on l’a dit avec raison, est comme un jouet entre les mains de Dieu, qui se fait un amusement de nos destinées. Homère, je crois, est le premier qui ait eu chez les Grecs cette pensée, lorsqu’aux funérailles de Patrocle il fait célébrer des jeux de toute nature et décerner des prix. Dans tous ces jeux, ceux qui semblent devoir être vainqueurs sont vaincus. Un archer sans réputation1 l’emporte sur Teucer.

Le meilleur des cochers arrive le dernier.2

Dans la course à pied un jeune homme est battu par un vieillard,3 et la lutte armée se termine au désavantage d’Ajax.4 Et cependant Homère proclame que de tous les Grecs, venus en foule sous les murs de Troie, le plus vaillant c’était Ajax, après Achille.5 Mais, pour Homère, l’adresse, l’expérience, la jeunesse, la vigueur ne comptent pour rien sans l’aide du ciel.


  1. Mérion (voir le tir à l’arc, Iliade, XXIII, 850-883). ↩

  2. Iliade, XXIII, 580. Ce cocher est Eumèle (voir la course des chars, Iliade, XXIII, 202-650). ↩

  3. Voir la course à pied, Iliade, XXIII, 740-797. Antiloque est battu par Ulysse. ↩

  4. Voir la lutte armée, Iliade, XXIII, 798-825. C’est Diomède qui est le vainqueur. ↩

  5. Iliade, II, 768. ↩

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