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Aux jouissances charnelles faites donc succéder, dans la sainte chasteté, les délices spirituelles; la lecture, l'oraison , les cantiques, les bonnes pensées, les bonnes oeuvres fréquentes, l'espérance du ciel, l'élévation du coeur au-dessus des choses du temps, et, pour tous ces bienfaits, l'action de grâces rendue au Père des lumières de qui nous vient, selon l'Ecriture, tout don parfait et excellent1. Si on n'a renoncé aux jouissances conjugales que pour chercher un dédommagement dans d'autres délices charnelles, je ne puis dire tous les maux qui en résultent; l'Apôtre les a résumés en disant de la veuve qui vit dans les délices, que toute vivante qu'elle soit, elle est déjà morte2.
Loin de vous, par conséquent, la pensée de remplacer la cupidité du mariage par la cupidité des richesses, et de faire succéder dans vos coeurs l'amour de l'argent à l'amour d'un époux ! L'expérience de la vie humaine nous a quelquefois montré l'avarice prenant la place de la volupté. En ce qui concerne les sens eux-mêmes, on remarque que les aveugles ont l'ouïe plus fine et le tact plus développé que ne l'ont ceux qui jouissent de la vue ; d'où il suit que si la faculté de percevoir par les sens est privée de quelques-uns de ses organes, elle développe les autres et y cherche une compensation à ce qui lui manque. De même, il arrive souvent que la cupidité charnelle, privée des jouissances conjugales , retombe sur l'amour de l'argent avec plus d'ardeur et plus d'avidité. Qu'en vous au contraire l'amour des richesses se refroidisse avec l'amour du mariage; faites servir votre fortune à accroître vos délices spirituelles; déployez toute votre libéralité à aider les pauvres plutôt qu'à enrichir les avares. Le trésor céleste ne reçoit point les dons faits par la cupidité, il se forme des aumônes faites aux pauvres , lesquelles donnent une puissance immense aux prières des veuves. Quand les jeûnes et les veilles, pratiqués sans troubler la santé, viennent se joindre a la prière, au chant, à la lecture et à la méditation des vérités divines , ce qui d'abord paraissait pénible se change bientôt en délices spirituelles. Car,quand on aime une chose, on trouve non pas de la peine, mais du plaisir à la faire ; voyez plutôt les chasseurs, les pêcheurs, les vendangeurs, les négociants, ceux qui jouent et se récréent. L'important donc est de savoir diriger son amour. Si l'on aime, on n'éprouve plus de peine, ou l'on aime cette peine. Mais quelle honte de voir des hommes se faire un plaisir du travail qu'il faut accomplir pour s'emparer d'un gibier, pour vendanger , pour moissonner, pour jouer à la balle, et n'éprouver que du dégoût quand il s'agit de conquérir Dieu lui-même?