V. 1 , 2 et 3.
« Réjouissez vous donc, jeune homme , dans le temps de votre jeunesse; que votre cœur soit dans l'allégresse pendant votre premier âge ; marchez selon les voies de votre coeur et selon les regards de vos veux , et sachez que Dieu vous fera rendre compte en son jugement de toutes ces choses. Bannissez la colère de votre coeur, éloignez le mal de votre chair ; car la jeunesse et le plaisir ne sont que vanité. Souvenez-vous de votre Créateur pendant les jours de votre jeunesse, avant que le temps de l'affliction soit arrivé et que vous approchiez des années dont vous direz : Ce temps me déplait infiniment. » Il n'y a pas deux auteurs qui soient d'accord dans l'explication de ce chapitre, et l'on peut presque dire ici ce que l'on dit ordinairement: Autant de têtes que d'opinions. Et tot pene sententiae quot homines. Comme ce serait donc une chose trop longue et fort ennuyeuse de rapporter tous ces sentiments différents et les opinions particulières de chacun de ces auteurs, aussi bien que les raisons qu'ils emploient pour prouver ce qu'ils avancent, je prie les lecteurs sages et prudents de se contenter que je leur indique seulement les sentiments des uns et des autres et que je les leur montre dans un abrégé, de même que l'on fait voir dans une petite carte la vaste étendue de l'univers et la circonférence de l'Océan dont la terre est environnée.
Les Hébreux se persuadent que ce commandement de l'Ecclésiaste s'adresse à ceux de leur nation, et que l'Ecriture leur ordonne de jouir de leurs biens et de leurs richesses avant le temps de leur captivité, où ils doivent changer le temps agréable de la jeunesse avec les jours tristes de la vieillesse et de l'âge caduc. Qu'Israël donc jouisse de tout ce qu’il y a de plus agréable et de plus délicieux , de tout ce qui réjouit le coeur, de tout ce qui plait aux yeux ; qu'il ne laisse échapper aucun de ces plaisirs pendant qu'ils sont présents et qu'il est en son pouvoir d'en jouir tranquillement. Qu'il se souvienne pourtant, au milieu de ces divertissements, qu'il rendra compte de toutes ces choses et que Dieu en jugera; ce qui l'oblige à rejeter les mauvaises pensées et à fuir tous les attraits de la volupté, ne doutant point que l'imprudence et la précipitation n'accompagnent toujours l'âge de la jeunesse. Qu'il se souvienne aussi de son Créateur avant le temps de la captivité de Babylone et de celle des Romains, qui seront des jours qui lui déplairont infiniment. C'est l'explication que donnent les Juifs aux paroles de l'Ecclésiaste ; et depuis cet endroit où il est dit : « Avant que le soleil, la lune et les étoiles ne perdent leur lumière, » jusques à cet autre où nous lisons : « Et que la poussière ne retourne eu terre comme elle était , et que l'esprit ne retourne au Seigneur qui l'avait donné , » ils prétendent qu'on doit entendre tous ces passages de l'état où ils se trouvent aujourd'hui ; mais comme cette explication est forcée et qu'elle est faite de plusieurs parties séparées et découpées qui mènent trop loin, nous n'en parlerons qu'en peu de mots , nous contentant d'en luire ce petit extrait.
Réjouissez-vous donc , ô Israël , dans votre jeunesse, avant que d'être réduit à l'état misérable d'une honteuse captivité dont votre vieillesse sera accablée ; jouissez, pendant que vous êtes encore en liberté, de tous les plaisirs dont nous avons parlé ci-dessus; n'attendez pas d'être mené captif dans une terre étrangère , quand on vous dépouillera de toute votre gloire et qu'on vous enlèvera vos ,juges, vos saints et vos docteurs, qui brillent chez vous comme des astres, et qui vous éclairent de leur lumière comme le soleil et la lune éclairent la terre. N'attendez pas la venue de Nabuchodonosor ni celle de Titus, fils de Vespasien, qui seront invités et appelés par la voix des prophètes pour accomplir ce qu'ils ont prédit de votre ruine. Hâtez-vous de prévenir ce jour malheureux où les saints anges, protecteurs et habitants du temple, doivent l'abandonner et s'en retirer , lorsque vos braves dans les armées perdront leur valeur et leurs forces , que vos magistrats ne seront plus obéis et que vos prophètes, qui recevaient autrefois d'en haut la lumière de leurs visions, tomberont dans l'obscurité et dans les ténèbres. Alors les portes du temple seront fermées pour jamais, et Jérusalem sera humiliée sous les pieds des Chaldéens que la voix de Jérémie, comme celle d'un oiseau, fera venir de leur pays, quand on n'entendra plus ni le chant des Psaumes ni les voix des instruments de musique dont le temple avait retenti pendant tant de siècles. C'est en ce temps-là que vos ennemis mêmes; qui viendront à Jérusalem pour en faire le siège, auront un profond respect pour la majesté de Dieu, et qu'ils craindront en chemin, dans le doute où ils seront , ne sachant pas s'ils doivent périr devant votre ville, comme l'armée de Sennacherib qui fut exterminée par la main d'un ange. Les Hébreux disent que ce respect et cette crainte des Chaldéens sont marqués par ces paroles : « Ils auront une crainte respectueuse pour le Très-haut, et ils trembleront de peur dans le chemin. » En ces jours-là on verra « fleurir l'amandier, » c'est-à-dire : le bâton et la baguette que Jérémie vit dès le commencement de ses révélations et de ses prophéties ; « et la sauterelle s'engraissera, » laquelle est la figure de Nabuchodonosor et de ses soldats. Alors enfin « les câpres se dissiperont,» ce qui signifie que l'amitié de Dieu et d'Israël sera détruite et anéantie. Nous expliquerons plus au long ce que veut dire le mot capparis,« un câprier, » dans le commentaire particulier de chaque verset. Toutes ces choses arriveront un jour au peuple d'Israël, parce que l'homme doit s'en aller clans la maison de son éternité et retourner de l'héritage de Dieu vers le ciel. Lorsqu'il partira pour s'en aller en sa demeure , on verra des gens qui pleureront dans les rues et dans les places publiques , et qui se lamenteront à cause du siège de la ville, qui sera serrée de près. Réjouissez-vous donc, ô Israël, dans votre jeunesse, « avant que la chaîne d'argent soit rompue, » c'est-à-dire: pendant que vous êtes en honneur et en gloire; « avant que la bandelette d'or se retire, » avant que l'arche d'alliance vous soit enlevée; « avant que la cruche se brise sur la fontaine et que la roue se rompe sur la citerne, » pendant que vous avez présentés les tables de la loi dans le Saint des saints , et la grâce du Saint-Esprit; avant que vous retourniez au pays de Babylone d'où vous étiez sorti étant encore dans Abraham votre aïeul , et avant que d'être brisé dans la Mésopotamie d'où vous étiez autrefois venu; avant enfin que les grâces et les lumières de la prophétie dont vos saints étaient inspirés ne retournent à l'auteur de tous ces dons. Voilà l'explication que les Juifs même d'aujourd'hui donnent au dernier chapitre de l'Ecclésiaste, en appliquant le sens à toute leur nation comme s'ils ne faisaient tous qu'une seule personne.
Mais, pour moi, je vais tâcher de l'expliquer d'une autre manière, et de reprendre l'ordre et la liaison du discours comme j'ai déjà fait dans les chapitres précédents. « Réjouissez vous, jeune homme, dans votre jeunesse; que votre coeur soit dans l'allégresse pendant votre premier âge ; marchez selon les voies de votre coeur et selon les regards de vos yeux; et sachez que Dieu vous fera rendre compte en son jugement de toutes ces choses. » Il a dit auparavant que la lumière de cette vie est très douce et très agréable, et que l'homme doit se réjouir pendant qu'il jouit de la vie et de la lumière du soleil , ne laissant point échapper aucune occasion de se divertir et de prendre ses délices, parce que tout passe dans ce monde comme une ombre, et qu'il faut s'attendre à une nuit éternelle qui vient à grands pas vers nous , où il ne nous sera plus permis de jouir des biens que nous aurons pu amasser et mettre en réserve. C'est pourquoi il exhorte ici les hommes et leur dit : Réjouissez-vous , ô jeune homme , dans la fleur de votre âge, et n'attendez pas que la vieillesse et la mort, qui succéderont bientôt, vous ravissent vos plaisirs et les douceurs de la vie; jouissez de tout ce qui flatte davantage les inclinations de votre coeur et de tout ce qu'il y a de plus beau et de plus agréable à la vue ; faites servir , en un mot, à vos plaisirs toutes les choses de ce monde , et usez-en comme bon vous semble. Mais parce qu'on pouvait lui reprocher que de tels discours sentaient l'impiété et le libertinage, et qu'ils n'étaient dignes que des enseignements d'un Epicure, il corrige par ce qu'il ajoute tout ce qui pouvait causer du scandale : « Et sachez,» dit-il, « que Dieu vous fera rendre compte de toutes ces choses dans son jugement. » Usez en sorte des créatures et des choses de ce monde que vous ne perdiez pas le souvenir du jugement que vous devez subir à la fin des siècles « Bannissez la colère de votre coeur ; éloignez le mal de votre chair, parce que la jeunesse et l'imprudence ne sont que vanité. » Il comprend dans la colère toutes les passions de l'âme, et dans le mal ou la malice de la chair toutes les voluptés animales et corporelles. Jouissez à la bonne heure, dit-il, de tous les biens de ce monde ; mais jouissez-en de telle manière que vous ne péchiez point, ni par aucun mauvais désir ni par aucune action extérieure de votre corps. Renoncez à vos anciennes habitudes criminelles et aux vices qui vous ont dominé dans votre jeunesse, où vous étiez assujetti à toutes les vanités et aux folies du siècle; car la jeunesse est attachée avec l'imprudence et la folie. « Souvenez-vous donc de votre Créateur dans le temps de votre jeunesse, avant que ces jours d'affliction et de peine soient arrivés où vous direz : Ces jours et ces années me déplaisent extrêmement. » Conservez toujours la mémoire de celui qui vous a créé, et réglez si bien vos démarches dans votre jeunesse que vous ne perdiez jamais le souvenir de la mort, qui doit être le terme de votre vie et de toutes vos actions. Faites cela pendant que vous êtes en liberté de le faire, et prévenez ces temps fâcheux où vos joies se changeront en tristesse.