XXI.
Si le bien est récompensé, il y aura évidemment injustice envers le corps qui a partagé les combats livrés pour la vertu, sans entrer en partage de la récompense que méritent ces combats ; il y aura injustice à ce que l'âme reçoive le pardon de certains péchés, en considération des misères et des exigences du corps, sans associer ce même corps aux récompenses pour lesquelles ils ont combattu de concert pendant la vie. Mais si le mal est puni, voilà les intérêts de l'âme lésés, puisqu'elle porte seule la peine des fautes commises à l'instigation du corps, et pour s'être trop facilement laissée entraîner aux mouvements déréglés de cet allié incommode, tantôt par surprise et par séduction, tantôt par une espèce de violence, quelquefois par faiblesse pour ce corps, dont la conservation la rendait trop prodigue de soins et de complaisances. Quelle injustice de punir cette âme pour des fautes qui ne tenaient pas à sa nature, et vers lesquelles aucune affection , aucun mouvement déréglé ne la portait ; telles que la débauche, la violence, l'avarice, et tous les crimes qui en découlent? Si l'âme ne s'en rend coupable que dans le tumulte et le trouble où jettent des passions qui ne sont pas réprimées, et si ces passions n'ont leur source que dans les exigences du corps, dont on flatte trop les, caprices ; si les idées de jouissance temporelle, de mariage, de commerce et de tant d'autres choses dont on peut abuser, et qui donnent lieu d'examiner si elles sont bonnes ou mauvaises, n'a tant d'empire sur l'âme qu'à raison du corps, où donc est l'équité d'un tel jugement ? Eh quoi ! le corps éprouve les premières sensations , il entraîne le consentement de l'âme, il l'associe aux actes qu'il exige, et celle-ci est seule responsable de ces actes ? La convoitise, les voluptés, la crainte et la douleur, dont les excès sont dignes de châtiment, ne reconnaissent d'autre principe que le corps ; et cependant les fautes qui en sont la suite, et le châtiment de ces fautes, pèseraient tous sur l'âme seule ; sur l'âme, par elle-même, exempte de tous ces besoins, à l'abri de la convoitise, de la crainte et de toutes les passions auxquelles l'homme est sujet? Et quand même on attribuerait à l'homme, et non point au corps seulement, tous ces mouvements tumultueux, ce qui est très-raisonnable, puisque sa vie résulte de l'union de deux substances différentes, encore ne dirons-nous point que ces mouvements puissent convenir à l'âme, si nous considérons attentivement sa nature en elle-même. En effet, si elle n'éprouve aucun besoin d'aliment, sans doute elle ne désirera point ce qui est inutile à son existence, elle ne se portera point vers des objets dont elle ne peut user ; elle sera insensible à la pauvreté, à la privation de biens dont elle n'a que faire.
En outre, si elle est au-dessus de la corruption, elle n'a point à redouter ce qui donne la mort ; elle n'appréhende ni la faim, ni la maladie, ni l'amputation des membres, ni aucun danger; elle ne craint ni le fer, ni le feu; car rien de tout cela ne saurait lui causer la moindre douleur, la plus légère affliction, puisque sa nature la soustrait aux impressions qui n'affectent que le corps. S'il est absurde d'imputer à l'âme ces divers mouvements, comme s'ils lui étaient propres, ne serait-ce pas le comble de l'injustice, ne serait-il pas indigne de Dieu, de faire peser sur elle seule le poids des fautes qui en résultent, et des supplices qui sont attachés à ces fautes?