LIBANIUS A BASILE. CCCXLV —CLII.
On voit par cette lettre toute l'estime que Libanius faisait de saint Basile, de ses discours et de ses lettres : il lui fait un reproche obligeant , de ce que, dans une circonstance , il avait refusé de l'instruire.
J'Ai plus besoin de m'excuser de n'avoir pas commencé depuis longtemps à vous écrire, que de commencer aujourd'hui. Je suis toujours le même qui accourcis avec tant d'empressement lorsque vous parliez en public, qui prêtais l'oreille avec tant de plaisir aux paroles qui coulaient de votre bouche, qui étais si charmé de vous entendre, qui ne me retirais qu'avec peine, en disant à mes amis: Cet homme est bien supérieur aux filles d'Achélaüs1; il charme comme elles, et il ne nuit pas comme elles: ou plutôt, ses beaux discours, loin d'être nuisibles, sont fort utiles à ceux qui les écoutent. Puisque je pense ainsi de vous, que je suis persuadé de votre amitié, et que je passe pour avoir quelque facilité à parler, ce serait une extrême paresse de ne pas vous écrire avec confiance, d autant plus que ce serait me faire tort à moi-même. Car le ne doute nullement que, pour une lettre courte et mal faite, je n'en reçoive de vous une aussi longue qu'agréablement écrite, et que vous ne craigniez à l'avenir de me faire une nouvelle injure. Cette parole, j'en suis sûr, va soulever bien des personnes, qui me réfuteront par des faits, et qui s'écrieront: Basile a-t-il jamais fait injure à qui que ce soit? c'est comme si l'on accusait Eaque, Minos et son frère2. Pour moi, je consens que vous me surpassiez dans tout le reste; mais peut-on vous connaître sans ressentir des mouvements de jalousie, et n'est-il pas évident que vous avez fait une faute à mon égard? Si je vous la rappelle, empêchez les personnes de s'indigner et de crier. On ne vous a jamais demandé une grâce facile à accorder; qu'on ne l'ait obtenue; et moi je vous ai demandé une grâce sans pouvoir l'obtenir. Que vous demandais-je donc ? nous promenant souvent ensemble dans le prétoire, je vous priais de m’aider de vos lumières pour saisir la profondeur de l'enthousiasme d'Homère. S’il n'est pas possible, vous disais-je, de pénétrer tout son art, faites-m'en du moins comprendre une partie. Je vous marquais l'endroit où, les Grecs étant malheureux , Agamemnon cherche à adoucir par ses présents celui qu'il a offensé. Ce discours vous faisait rire; et ne pouvant disconvenir que vous pouviez t'obliger si vous vouliez, vous ne le vouliez pas. Trouvez-vous que j'aie tort de me plaindre, vous et tous ceux qui sont fâchés que je vous reproche de m'avoir fait injure?