• Accueil
  • Œuvres
  • Introduction Instructions Collaboration Sponsors / Collaborateurs Copyrights Contact Mentions légales
Bibliothek der Kirchenväter
Recherche
DE EN FR
Œuvres Jean Chrysostome (344-407) Adversus oppugnatores vitae monasticae libri I-III Apologie de la vie monastique
LIVRE DEUXIÈME

10.

Mais nous n’en sommes pas encore là. Examinons pour le moment ces plaisirs, voyons s’ils ne sont pas froids et méprisables; ‘et. si vous voulez, commençons par celui qui semble le plus agréable, par celui de la table. Montrez-nous donc sa durée? Ces plaisirs... celui de la table. Si longtemps vraiment qu’on ne peut s’en apercevoir! Sitôt en effet que quelqu’un s’est rassasié, il a éteint ce plaisir, qui passe plus vite qu’un torrent, disparaît au gosier, et ne peut suivre les aliments. Dès qu’il a dépassé la langue, il a émoussé sa pointe. Je passe sous silence tous les maux qui suivent, et quelle tempête occasionne cette passagère jouissance. Non-seulement il est plus heureux celui qui se prive de ce plaisir, mais il est encore plus léger, et il reposera bien plus agréablement que l’homme qui a fait bonne chère; en effet, dit le proverbe, à ventre modéré, sommeil de santé. (Eccli. XXXI, 24.) Et qu’ai-je besoin de parler des maladies, des incommodités, des accidents, et des dépenses inutiles? Que de récriminations, que de complots, que de calomnies germent dans ces festins!

Mais entretenir commerce avec des courtisanes, voilà un bonheur!.. Et quel bonheur pourriez-vous associer à une telle turpitude? Ne nous arrêtons pas encore à cela maintenant; laissons là les querelles des amants, les disputes entre rivaux et les accusations. Supposons un homme jouissant en toute liberté de son libertinage; qu’il n’ait pas de rival, qu’il ne soit point dédaigné de sa maîtresse’ qu’il puise les richesses comme à des sources intarissables; supposition impossible, puisque ces choses ne peuvent- se trouver réunies, et qu’il faut de toute nécessité ou que celui qui ne veut point avoir de rival épuise toute sa fortune pour surpasser tous les autres en prodigalité; ou que celui qui ne veut pas se ruiner soit dédaigné et rejeté par sa maîtresse; quoiqu’il en soit, je veux qu’il évite ces inconvénients; que tout lui réussisse à souhait. A quoi se réduit, je vous le demande, ce triste plaisir? La passion assouvie, où est la jouissance? Il y a beaucoup d’amertume, au fond de cette coupe enivrante. Mais ne soulevons pas le voile qui recouvre ces turpitudes.

Pour nous, telle n’est point notre jouissance; à Dieu ne plaise! mais elle entretient l’âme dans un calme perpétuel; elle ne produit ni trouble ni agitation, mais une joie pure, entière, sincère et sans fin , une joie bien plus forte et plus abondante que la vôtre. Il est hors de doute que la nôtre offre plus d’agréments. Car la crainte peut dissiper la vôtre. Que l’empereur lance un décret qui menace de la mort, la plupart des hommes renonceront à ces jouissances. Pour les nôtres, au contraire, quand on nous présenterait mille morts devant les yeux, loin de nous persuader d’y renoncer, on ne ferait que provoquer notre dédain pour la menace : tant nos félicités l’emportent sur les vôtres en puissance comme en douceur, et se refusent à toute comparaison avec elles ! Ainsi ne blâmez pas votre fils d’avoir quitté des biens éphémères, de faux biens, pour des biens réels et permanents. Ne pleurez point celui qui mérite d’être félicité; il faudrait plutôt le pleurer s’il se laissait emporter au courant de la vie présente, comme à celui d’une mer agitée.

Résumons-nous. Quoique infidèle et païen, vous accueillerez notre parole, Vous avez mille fois entendu nommer le Cocyte, les fleuves Pyriphlégétons, et l’eau du Styx, et le Tartare aussi éloigné de notre terre que celle-ci du ciel enfin, les nombreux châtiments qu’on y subit. Quoique les païens n’aient pu parler de tout cela selon l’exacte vérité, parce qu’ils n’avaient ni nos doctrines ni nos traditions, cependant ils ont saisi comme une image de ces grandes et terribles vérités. Lisez leurs poètes, leurs philosophes et leurs orateurs, et vous les verrez tous raisonner sur ces croyances. D’autre part, vous connaissez les Champs-Elysées, les îles fortunées, les prairies et les bois de myrtes, la brise légère et embaumée, les choeurs qui séjournent là, vêtus d’habits éclatants de blancheur, dansant et chantant des hymnes; vous connaissez enfin la rétribution réservée aux bons et aux méchants après leur départ d’ici-bas. Appréciez d’après ces idées l’existence des bons et celle des méchants. N’est-il pas vrai que ces craintes d’un avenir de châtiments pourraient toutes seules troubler l’esprit des méchants, et, même au sein d’une vie exempte d’autres peines et d’autres chagrins, les rendre malheureux, en flagellant leur conscience avec le fouet du remords et de l’inquiétude? N’est-il pas vrai, d’un autre côté, que les bons, eussent-ils mille maux à endurer, nourrissent, comme dit Pindare, un espoir fortifiant qui ne leur permet point de ressentir les peines de cette vie? En cela encore notre bonheur est donc plus grand que le vôtre. Car mieux vaut de beaucoup commencer par des peines passagères pour trouver à la mort un éternel repos, que de goûter un instant de prétendues jouissances pour finir par les maux les plus amers et les plus intolérables. Puis donc qu’il est prouvé que même ici-bas la vie retirée et solitaire est plus agréable, ne faut-il pas faire maintenant ce que je vous conseillais en commençant, plaindre ceux qui regrettent de pareils biens?

Non, votre fils ne mérite point de larmes; il mérite des applaudissements et des couronnes pour avoir fait choix d’une vie exempte d’agitation, et pour s’être réfugié dans un port assuré. — Mais vous aurez à essuyer les reproches de nombreux parents qui ont des fils établis dans le monde, et en vous voyant agir ainsi, les uns pleureront, les autres vous railleront. — Et pourquoi, vous le premier, ne vous moquez-vous pas d’eux, ou ne déplorez-vous pas leur aveuglement? Ah! ne regardons pas si l’on nous raille, mais si on le fait à bon droit et avec raison. Si nous le méritons, pleurons sans qu’on nous raille; sinon, félicitons-nous et plaignons les malheureux et les insensés qui essaient de jeter sur nous du ridicule. Railler ce qui mérite des louanges et des couronnes, c’est le propre des fous et des autres malades semblables. Dites-moi, si tous approuvaient et admiraient votre fils, si tous vous félicitaient à cause de son goût, poussé jusqu’à la folie, pour les danseurs et pour les conducteurs de chars, ne prendriez-vous pas ces éloges pour une dérision? Eh quoi! s’ils raillaient et blâmaient votre fils de faire une action noble et digne d’éloges, ne diriez-vous pas qu’ils déraisonnent? Faisons-le maintenant; rapportons-nous-en pour juger votre fils, non pas à l’opinion du vulgaire, mais au sérieux examen des raisons; et vous verrez que ces rieurs auront dans leurs enfants plutôt des esclaves que des ‘hommes libres, quand ils en viendront à les comparer au vôtre.

Maintenant, il est vrai, aveuglé par votre douleur, vous ne pouvez comprendre ces choses; mais quand vous vous serez un peu consolé, quand votre fils vous aura montré toute sa. vertu, alors vous n’aurez plus besoin de raisons; vous confesserez la vérité de tout ce que je vous dis. Ce n’est pas sans fondement que je vous fais cette prédiction; elle est basée sur l’expérience même. J’ai eu un ami dont le père infidèle était riche, considéré, illustre àtous les titres. Ce père mit d’abord en jeu les magistrats, menaça son fils de la prison, le priva de tous ses biens et l’envoya sur une terre étrangère sans lui laisser même la nourriture nécessaire; tout cela pour le forcer de’ revenir à la vie du monde. Mais quand il vit que son fils ne cédait à aucun de ces moyens, vaincu, il changea complétement de langage, et maintenant il a pour son fils la vénération qu’il aurait pour un père. Il avait encore d’autres enfants considérés dans le monde; cependant il était loin d’avoir pour eux l’estime qu’il avait pour leur frère. Cet heureux père doit même à son fils un accroissement de la considération dont il jouissait déjà parmi les hommes. Nous verrons la même chose pour votre fils, et vous saurez parfaitement par expérience que je ne me trompe pas. Aussi désormais garderai-je le silence, vous priant seulement d’attendre une année ou moins de temps encore. Il ne faut pas de longs jours à la vertu chrétienne pour grandir et frapper les regards, parce qu’elle germe dans la grâce de Dieu. Vous verrez tout ce que je vous ai dit, vérifié par l’événement; non-seulement vous approuverez ce qui s’est fait ; mais, pour peu que vous vous éleviez au-dessus des sens, vous céderez au même attrait que votre fils, et vous le prendrez pour guide dans le chemin de la vertu.

pattern
  Imprimer   Rapporter une erreur
  • Afficher le texte
  • Référence bibliographique
  • Scans de cette version
Download
  • docxDOCX (115.11 kB)
  • epubEPUB (100.93 kB)
  • pdfPDF (353.08 kB)
  • rtfRTF (311.75 kB)
Traductions de cette œuvre
Apologie de la vie monastique

Table des matières

Faculté de théologie, Patristique et histoire de l'Église ancienne
Miséricorde, Av. Europe 20, CH 1700 Fribourg

© 2025 Gregor Emmenegger
Mentions légales
Politique de confidentialité