1.
Au moment de se mettre à faire son propre éloge, il prend une foule de précautions. Ce n'est pas une fois ou deux seulement qu'il montre cette réserve; cependant la nécessité du sujet devait être pour lui une excuse suffisante, outre tant de preuves d'humilité déjà données par lui. Celui qui gardait le souvenir des péchés que Dieu avait oubliés, celui qui, en rappelant sa vie première, se déclarait indigne du titre d'apôtre, celui-là, même aux yeux des hommes les plus dépourvus de sens, ne peut pas paraître un glorieux, débitant, pour se vanter, les paroles qu'il va maintenant faire entendre. En effet, pour dire quelque chose d'étrange, sa gloire même était fort compromise en ce qu'il parlait de ses actions, car se louer, c'est se rendre à charge au grand nombre. Toutefois il ne s'arrête à aucune des considérations de ce genre, il ne voulut voir qu'une chose, le salut de ses auditeurs. Donc, pour ne (138) blesser en rien les insensés par l'éloge qu'il allait faire de lui-même, il s'entoure d'une foule de précautions, il dit : « Plût à Dieu que «vous voulussiez un peu supporter mon imprudence ! et supportez-la, je vous prie ». Quelle prudence dans ces paroles ! Leur dire : « Plût à Dieu que vous voulussiez », c'est leur dire que tout dépend d'eux ; or cette affirmation montre toute la hardiesse que lui inspire leur affection, qu'il les aime, qu'il en est aimé; disons mieux: ce n'est pas en vue d'une affection mesquine, c'est sous l'influence d'un amour ardent, violent, qu'ils doivent, selon lui, supporter son imprudence. Ce qui fait qu'il ajoute: « Car j'ai pour vous un amour de jalousie, et d'une jalousie de Dieu (2) ».
Il ne dit pas : je vous aime, il se sert d'une expression beaucoup plus vive. La jalousie est le propre des âmes qu'embrase un amour violent, la jalousie n'a d'autre source qu'une ardente et violente affection. Ensuite, pour prévenir cette pensée, que s'il recherche leur amour c'est par un désir d'honneur, ou d'argent, ou de quelque autre chose, il ajoute : « D'une jalousie de Dieu ». Si l'on dit la jalousie de Dieu, ce n'est pas que cette passion puisse être soupçonnée en lui; Dieu est au-dessus des passions humaines; l'apôtre veut faire comprendre à tous qu'il n'est jaloux que du bonheur de ceux pour qui il fait toutes choses; ce n'est pas afin d'y trouver quelque profit pour lui-même, c'est afin de les sauver. Chez les hommes, le jaloux ne cherche que son repos à lui; il ne songe pas aux outrages faits à l'objet aimé, mais à ceux qui lui sont faits, à lui qui aime, et qui n'est pas considéré, aimé comme il aime, par l'objet de son affection. Or, la jalousie de Paul n'a nullement ce caractère. Je ne m'inquiète pas, dit-il, de ne pas trouver en vous, pour moi, les sentiments que j'ai pour vous ; ce qui m'occupe, c'est, que vous ne vous corrompiez pas. Telle est la jalousie de Dieu, telle est la mienne, à la fois vive et pure. Ajoutez à cela, que la cause de cette affection la rend nécessaire: « Parce que ec je vous ai fiancés à cet unique époux, pour « vous présenter à lui comme une vierge toute « pure ».
Ce n'est donc pas pour moi que je suis jaloux, mais pour celui à qui je vous ai fiancés. Le temps présent est le temps des fiançailles; le temps des noces ne viendra qu'après, quand on dira: voici l'époux ! O merveille ! Dans le monde on reste vierge jusqu'au mariage; après le mariage il n'en est plus de même. Ici, c'est le contraire; quand on ne serait pas vierge avant le mariage, on le devient après; c'est ainsi que l'Eglise tout entière est. vierge. Car ce que dit l'apôtre s'adresse à tous les hommes, à toutes les femmes qu'unit le mariage. Mais maintenant voyons ce qu'il apporte en nous fiançant, quelle est la dot : ni or ni argent; le royaume des cieux. Voilà pourquoi il a dit : « Nous faisons donc, pour le Christ, les fonctions d'ambassadeurs » (II Cor. V, 20) ; et il a recours aux prières pour prendre sa fiancée. On vit une figure de ceci au temps d'Abraham. Ce patriarche envoya son fidèle serviteur pour fiancer son fils à une jeune fille étrangère; notre Dieu aussi a envoyé ses serviteurs pour fiancer l'Eglise à son fils, il a envoyé les prophètes qui faisaient autrefois entendre ces paroles : « Ecoutez, ma fille, et voyez et oubliez votre peuple et la maison de votre père, et le roi désirera de voir votre beauté ». (Ps. XLIV, 10, 11.) Voyez-vous le prophète faisant lui-même des fiançailles? Voyez-vous, l'apôtre de son côté, prononçant avec une entière confiance des paroles du même genre, quand il dit : « Je vous ai fiancés à cet unique époux, pour vous présenter comme une vierge toute pure à Jésus-Christ? » Voyez-vous encore tout ce qu'il montre de sagesse? En disant, plût à Dieu que vous voulussiez me supporter, il ne dit pas, car je suis votre docteur, ni, car c'est moi qui vous parle, il leur dit ce qui devait avoir pour eux la plus grande valeur, il se représente, lui, comme l'agent du mariage, il les représente, eux, comme l'épousée.
Et ensuite il ajoute : « Mais j'appréhende qu'ainsi que le serpent séduisit Eve par ses artifices, vos esprits aussi ne se corrompent et ne dégénèrent de la simplicité en Jésus-Christ (3) ». Car quoique la perdition fût pour vous seuls, la douleur m'en serait néanmoins commune avec vous. Et considérez la sagesse de l'apôtre : il ne parle pas ouvertement de leur corruption, bien qu'elle ne fût que trop vraie, comme le prouvent ces paroles : « Lorsque vous aurez satisfait à tout ce que l'obéissance demande de vous, et que je ne sois « obligé d'en pleurer plusieurs qui ont péché» (II Cor. X, 6, et XII, 21), toutefois, il les force à rougir ; voilà pourquoi il dit : « J'appréhende que » ; il ne condamne pas, il ne garde pas non plus le silence; ni l'un ni l'autre de ces (139) deux partis n'était sûr, il ne fallait ni parler ouvertement, ni garder le tout caché jusqu'au bout. Voilà pourquoi il prend une expression intermédiaire, « j'appréhende que », qui ne marque ni une condamnation, ni une grande confiance, qui est à égale distance des deux jugements contraires. Voilà comment il les avertit; l'histoire qu'il leur rappelle était faite pour les frapper de terreur , pour leur montrer qu'ils étaient inexcusables. En effet, quoique le serpent fût rusé, la femme insensée, aucune de ces considérations n'a sauvé la femme.